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La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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calme ; et cependant qu'elle est changée, cette maison ! Comme elle a perdu sa douceur de sécurité, d'innocence ! Que rumine ce chat au foyer, qui fait semblant de dormir et m'entr'ouvre ses yeux verts ? La chèvre à la longue barbe, discrète et sinistre personne, en sait bien plus qu'elle n'en dit. Et cette vache, que la lune fait entrevoir dans l'étable, pourquoi m'a-t-elle adressé de côté un tel regard ?... Tout cela n'est pas naturel.
    Elle frissonne et va se remettre à côté de son mari. « Homme heureux ! quel sommeil profond !... Moi, c'est fini, je ne dors plus ; je ne dormirai plus jamais !... » Elle s'affaisse pourtant à la longue. Mais, alors, combien elle souffre ! L'hôte importun est près d'elle, exigeant, impérieux. Il la traite sans ménagement ; si elle l'éloigne un moment par le signe de la croix ou quelque prière, il revient sous une autre forme. « Arrière, démon, qu'oses-tu ? Je suis une âme chrétienne... Non, cela ne t'est pas permis. »
    Il prend alors, pour se venger, cent formes hideuses : il file gluant en couleuvre sur son sein, danse en crapaud sur son ventre, ou, chauve-souris, d'un bec aigu, cueille à sa bouche effrayée d'horribles baisers... Que veut-il ? La pousser à bout, faire que, vaincue, épuisée, elle cède et lâche un Oui. Mais elle résiste encore. Elle s'obstine à dire : Non. Elle s'obstine à souffrir les luttes cruelles de chaque nuit, l'interminable martyre de ce désolant combat.
     
    « Jusqu'à quel point un Esprit peut-il en même temps se faire corps ? Ses assauts, ses tentatives ont-elles une réalité ? Pécherait-elle charnellement, en subissant l'invasion de celui qui rôde autour d'elle ? Serait-ce un adultère réel ?... » Détour subtil par lequel il alanguit quelquefois, énerve sa résistance. « Si je ne suis rien qu'un souffle, une fumée, un air léger (comme beaucoup de docteurs le disent), que craignez-vous, âme timide, et qu'importe à votre mari ? »
    C'est le supplice des âmes, pendant tout le moyen âge, que nombre de questions que nous trouverions vaines, de pure scolastique, agitent, effrayent, tourmentent, se traduisent en visions, parfois en débats diaboliques, en dialogues cruels qui se font à l'intérieur. Le démon, quelque furieux qu'il soit dans les démoniaques, reste un esprit toutefois tant que dure l'Empire romain, et encore au temps de saint Martin, au cinquième siècle. A l'invasion des Barbares, il se barbarise et prend corps. Il l'est si bien, qu'à coups de pierres il s'amuse à casser la cloche du couvent de saint Benoit. De plus en plus, pour effrayer les violents envahisseurs de biens ecclésiastiques, on incarne fortement le diable ; on inculque cette pensée qu'il tourmentera les pécheurs, non d'âme à âme seulement, mais corporellement dans leur chair, qu'ils souffriront des supplices matériels, non des flammes idéales, mais bien en réalité ce que les charbons ardents, le gril ou la broche rouge, peuvent donner d'exquises douleurs.
    L'idée des diables tortureurs, infligeant aux âmes des morts des tortures matérielles, fut, pour l'Église, une mine d'or. Les vivants, navrés de douleur, de pitié, se demandaient : « Si l'on pouvait, d'un monde à l'autre, les racheter, ces pauvres âmes ? leur appliquer l'expiation par amende et composition que l'on pratique sur la terre ? — Ce pont entre les deux mondes fut Cluny, qui, dès sa naissance (vers 900), devint tout à coup l'un des ordres les plus riches.
    Tant que Dieu punissait lui-même, appesantis sait sa main ou frappait par l'épée de l'ange (selon la noble forme antique), il y avait moins d'horreur ; cette main était sévère, celle d'un juge, d'un père pourtant. L'ange en frappant restait pur et net comme son épée. Il n'en est nullement ainsi, quand l'exécution se fait par des démons immondes. Ils n'imitent point du tout l'ange qui brûla Sodome, mais qui d'abord en sortit. Ils y restent, et leur enfer est une horrible Sodome où ces esprits, plus souillés que les pécheurs qu'on leur livre, tirent des tortures qu'ils infligent d'odieuses jouissances. C'est l'enseignement qu'on trouvait dans les naïves sculptures étalées aux portes des églises. On y apprenait l'horrible leçon des voluptés de la douleur. Sous prétexte de supplice, les diables assouvissent sur leurs victimes les caprices les plus révoltants. Conception immorale (et profondément coupable !) d'une prétendue justice

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