La Sorcière
coups.
Un jour que la pauvre femme, en l'absence du mari, venait d'être maltraitée, en relevant ses longs cheveux, elle pleurait et disait tout haut : « O les malheureux saints de bois, que sert-il de leur faire des vœux ? Sont-ils sourds ? Sont-ils trop vieux ?... Que n'ai-je un Esprit protecteur, fort, puissant (méchant n'importe) ! J'en vois bien qui sont en pierre à la porte de l'église. Que font-ils là ? Que ne vont-ils pas à leur vraie maison, le château, enlever, rôtir ces pécheurs ?... Oh ! la force, oh ! la puissance, qui pourra me la donner ? Je me donnerais bien en échange... Hélas ! qu'est-ce que je donnerais ? Qu'est-ce que j'ai pour me donner ? Rien ne me reste. — Fi de ce corps ! Fi de l'âme, qui n'est plus que cendre ! — Que n'ai-je donc, à la place du follet qui ne sert à rien, un grand, fort et puissant Esprit !
— O ma mignonne maîtresse ! je suis polit par votre faute, et je ne peux pas grandir.... Et, d'ailleurs, si j'étais grand, vous ne m'auriez pas voulu, vous ne m'auriez pas souffert, ni votre mari non plus. Vous m'auriez fait donner la chasse par vos prêtres et leur eau bénite... Je serai fort si vous voulez...
Maîtresse, les Esprits ne sont ni grands ni petits, forts ni faibles. Si l'on veut, le plus petit va devenir un géant.
— Comment ? — Mais rien n'est plus simple. Pour faire un Esprit géant, il ne faut que lui faire un don.
— Quel ? — Une jolie âme de femme.
— Oh ! méchant, qui es-tu donc ? Et que demandes-tu là ? — Ce qui se donne tous les jours... — Voudriez-vous valoir mieux que la dame de là-haut ? Elle a engagé son âme à son mari, à son amant, et pourtant la donne encore entière à son page, un enfant, un petit sot. — Je suis bien plus que votre page ; je suis plus qu'un serviteur. En que de choses ai-je été votre petite servante !... Ne rougissez pas, ne vous fâchez pas... Laissez-moi dire seulement que je suis tout autour de vous, et déjà peut-être en vous. Autrement, comment saurais-je vos pensées, et jusqu'à celle que vous vous cachez à vous-même... Que suis-je, moi ? Votre petite âme, qui sans façon parle à la grande..... Nous sommes inséparables. Savez-vous bien depuis quel temps je suis avec vous ?... C'est depuis mille ans. Car j'étais à votre mère, à sa mère, à vos aïeules... Je suis le génie du foyer.
— Tentateur !... Mais que feras-tu ? — Alors, ton mari sera riche, toi puissante, et l'on te craindra. — Où suis-je ? tu es donc le démon des trésors cachés ?... — Pourquoi m'appeler démon, si je fais une œuvre juste, de bonté, de piété ?...
Dieu ne peut pas être partout, il ne peut travailler toujours. Parfois il aime à reposer, et nous laisse, nous autres génies, faire ici le menu ménage, remédier aux distractions de sa providence, aux oublis de sa justice.
Votre mari en est l'exemple... Pauvre travailleur méritant, qui se tue, et ne gagne guère... Dieu n'a pas eu encore le temps d'y songer... Moi, un peu jaloux, je l'aime pourtant, mon bon hôte. Je le plains. Il n'en peut plus, il succombe. Il mourra, comme vos enfants, qui sont déjà morts de misère. L'hiver, il a été malade... Qu'adviendra-t-il l'hiver prochain ? »
Alors, elle mit son visage dans ses mains, elle pleura, deux, trois heures, ou davantage. Et, quand elle n'eut plus de larmes (mais son sein battait encore), il dit : « Je ne demande rien... Seulement, je vous prie, sauvons-le. »
Elle n'avait rien promis, mais lui appartint dès cette heure.
20. Laurière, II, 100, v° Marquette , Michelet, Origines du droit , 264.
21. Quand je publiai mes Origines en 1837, je ne pouvais connaître cette publication (de 1842).
22. Cette délicatesse apparaît dans le traitement que ces dames voulaient infliger de leurs mains à Jean de Meung, leur poète, l'auteur du Roman de la Rose (vers 1300).
23. Rien de plus gai que nos vieux contes ; seulement ils sont peu variés. Ils n'ont que trois plaisanteries : le désespoir du cocu , les cris du battu , la grimace du pendu . On s'amuse du premier, on rit (A pleurer) du second. Au troisième, la gaieté est au comble ; on se tient tes côtes. Notez que les trois n'en font qu'un. C'est toujours l'inférieur, le faible qu'on outrage en toute sécurité, celui qui ne peut se défendre.
V
Possession
L'âge terrible, c'est l'âge d'or. J'appelle ainsi la dure époque où l'or eut son avènement. C'est
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