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La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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rapide, est le passage de la rage à la volupté. »
    Ni là colère ni l'orgueil ne la sauveraient de ces séductions. Ce qui la sauve, c'est l'immensité du désir. Nul n'y suffirait. Chaque vie est limitée, impuissante. Arrière le coursier, le taureau ! arrière la flamme de l'oiseau ! Arrière, faibles créatures, pour qui a besoin d'infini !
    Elle a une envie de femme. Envie de quoi ? Mais du Tout, du grand Tout universel.
    Satan n'a pas prévu cela, qu'on ne pouvait l'apaiser avec aucune créature.
    Ce qu'il n'a pu, je ne sais quoi dont on ne sait pas le nom, le fait. A ce désir immense, profond, vaste comme une mer, elle succombe, elle sommeille. En ce moment, sans souvenir, sans haine ni pensée de vengeance, innocente malgré elle, elle dort sur la prairie, tout comme une autre aurait fait, la brebis ou la colombe, détendue, épanouie, — je n'ose dire amoureuse.
    Elle a dormi, elle a rêvé... Le beau rêve ! Et comment le dire ? C'est que le monstre merveilleux de la vie universelle, chez elle s'était englouti ; que désormais vie et mort, tout tenait dans ses entrailles, et qu'au prix de tant de douleurs elle avait conçu la Nature.
    30. Albert le Grand, Roger Bacon, Arnaud de Villeneuve (qui trouve l'eau-de-vie).

IX
    Satan médecin
    La scène muette et sombre de la fiancée de Corinthe se renouvelle, à la lettre, du treizième au quinzième siècle. Dans la nuit qui dure encore, avant l'aube, les deux amants, l'homme et la nature, se retrouvent, s'embrassent avec transport, et, dans ce moment même (horreur !) ils se voient frappés d'épouvantables fléaux ! On croit entendre encore l'amante dire à l'amant : « C'en est fait... Tes cheveux blanchiront demain... Je suis morte, tu mourras. »
    Trois coups terribles en trois siècles. Au premier, la métamorphose choquante de l'extérieur, les maladies de peau, la lèpre. Au second, le mal intérieur, bizarre stimulation nerveuse, les danses épileptiques. Tout se calme, mais le sang s'altère, l'ulcère prépare la syphilis, le fléau du quinzième siècle.
     
    Les maladies du moyen âge, autant qu'on peut l'entrevoir, moins précises, avaient été surtout la faim, la langueur et la pauvreté du sang, cette élisie qu'on admire dans la sculpture de ce temps-là le sang était de l'eau claire ; les maladies scrofuleuses devaient être universelles. Sauf le médecin arabe ou juif, chèrement payé par les rois, la médecine ne se faisait qu'à la porte des églises, au bénitier. Le dimanche, après l'office, il y avait force malades ; ils demandaient des secours, et on leur donnait des mots : « Vous avez péché, et Dieu vous afflige. Remerciez ; c'est autant de moins sur les peines de l'autre vie. Résignez-vous, souffrez, mourez. L'Église a ses prières des morts. » Faibles, languissants, sans espoir, ni envie de vivre, ils suivaient très-bien ce conseil et laissaient aller la vie.
    Fatal découragement, misérable état qui dut indéfiniment prolonger ces âges de plomb, et leur fermer le progrès. Le pis, c'est de se résigner si aisément, d'accepter la mort si docilement, de ne pouvoir rien, ne désirer rien. Mieux valait la nouvelle époque, cette fin du moyen âge, qui, au prix d'atroces douleurs, nous donne le premier moyen de rentrer dans l'activité : la résurrection du désir .
     
    Quelques Arabes prétendent que l'immense éruption des maladies de la peau qui signale le treizième siècle, fut l'effet des stimulants, par lesquels on cherchait alors à réveiller, raviver les défaillances de l'amour. Nul doute que les épices brûlantes, apportées d'Orient, n'y aient été pour quelque chose. La distillation naissante et certaines boissons fermentées purent aussi avoir action.
    Mais une grande fermentation, bien plus générale, se faisait. Dans l'aigre combat intérieur de deux mondes et de deux esprits, un tiers survit qui les fit taire. La foi pâlissante, la raison naissante disputaient : entre les deux, quelqu'un se saisit de l'homme. Qui ? l'Esprit impur, furieux, des âcres désirs, leur bouillonnement cruel.
    N'ayant nul épanchement, ni les jouissances du corps, ni le libre jet de l'esprit, la sève de vie refoulée se corrompit elle-même. Sans lumière, sans voix, sans parole, elle parla en douleurs, en sinistres efflorescences. Une chose terrible et nouvelle advient alors : le désir ajourné, sans remise, se voit arrêté par un cruel enchantement, une atroce métamorphose 31. . L'amour

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