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La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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moyens matériels pour agir même sur l'âme ; il fait boire l'oubli, l'amour, la rêverie, toute passion. Aux bénédictions du prêtre il oppose des passes magnétiques, par de douces mains de femmes, qui endorment les douleurs.
    Par un changement de régime, et surtout de vêlement (sans doute en substituant la toile à la laine), les maladies de la peau perdirent de leur intensité. La lèpre diminua, mais elle sembla rentrer et produire des maux plus profonds. Le quatorzième siècle oscilla entre (rois fléaux, l'agitation épileptique, la peste, les ulcérations qui (à en croire Paracelse) préparaient la syphilis.
    Le premier danger n'était pas le moins grand. Il éclata, vers 1350, d'une effrayante manière par la danse de Saint-Guy, avec cette singularité qu'elle n'était pas individuelle ; les malades, comme emportés d'un même courant galvanique, se saisissaient par la main, formaient des chaînes immenses, tournaient, tournaient, à mourir. Les regardants riaient d'abord, puis, par une contagion, se laissaient aller, tombaient dans le grand courant, augmentaient le terrible chœur.
    Que serait-il arrivé si le mal eût persisté, comme fit longtemps la lèpre dans sa décadence même ?
    C'était comme un premier pas, un acheminement vers l'épilepsie. Si cette génération de malades n'eût été guérie, elle en eût produit une autre décidément épileptique. Effroyable perspective ! L'Europe couverte de fous, de furieux, d'idiots ! On ne dit point comment ce mal fut traité, et s'arrêta. Le remède qu'on recommandait, l'expédient de tomber sur ces danseurs à coups de pied et de poing, était infiniment propre à aggraver l'agitation et la faire aboutir à l'épilepsie véritable. Il y eut, sans nul doute, un autre remède, dont on ne voulut pas parler. Dans le temps où la sorcellerie prend son grand essor, l'immense emploi des Solanées, surtout de la belladone, généralisa le médicament qui combat ces affections. Aux grandes réunions populaires du sabbat dont nous parlerons, l' herbe aux sorcières , mêlée à l'hydromèle, à la bière, aussi au cidre 38. , an poiré (les puissantes boissons de l'Ouest), mettait la foule en danse, une danse luxurieuse, mais point du tout épileptique.
     
    Mais la grande révolution que font les sorcières, le plus grand pas à rebours contre l'esprit du moyen âge, c'est ce qu'on pourrait appeler la réhabilitation du ventre et des fonctions digestives. Elles professèrent hardiment : « Rien d'impur et rien d'immonde. » L'étude de la matière fut dès lors illimitée, affranchie. La médecine fut possible.
    Qu'elles aient fort abusé du principe, on ne le nie pas. Il n'est pas moins évident. Rien d'impur que le mal moral. Toute chose physique est pure ; nulle ne peut être éloignée du regard et de l'étude, interdite par un vain spiritualisme, encore moins par un sot dégoût.
    Là surtout le moyen âge s'était montré dans son vrai caractère, l' Anti-Nature , faisant dans l'unité de l'être des distinctions, des castes, des classes hiérarchiques. Non-seulement l'esprit est noble , selon lui, le corps non noble , — mais il y a des parties du corps qui sont nobles , et d'autres non, roturières apparemment. — De même, le ciel est noble, et l'abime ne l'est pas. Pourquoi ? « C'est que le ciel est haut. » Mais le ciel n'est ni haut ni bas. Il est dessus et dessous. L'abîme, qu'est-ce ? Rien du tout. — Même sottise sur le monde, et le petit monde de l'homme.
    Celui-ci est d'une pièce ; tout y est solidaire de tout. Si le ventre est le serviteur du cerveau et le nourrit, le cerveau, aidant sans cesse à lui préparer le sucre de digestion 39. , ne travaille pas moins pour lui.
     
    Les injures ne manquèrent pas. On appela les sorcières sales, indécentes, impudiques, immorales. Cependant leurs premiers pas dans cette voie furent, on peut le dire, une heureuse révolution dans ce qui est le plus moral, la bonté, la charité. Par une perversion d'idée monstrueuse, le moyen âge envisageait la chair, en son représentant (maudit depuis Ève), la Femme , comme impure. La Vierge, exaltée comme vierge , plus que comme Notre-Dame , loin de relever la femme réelle, l'avait abaissée en mettant l'homme sur la voie d'une scolastique de pureté où l'on allait enchérissant dans le subtil et le faux.
    La femme même avait fini par partager l'odieux préjugé et se croire immonde. Elle se cachait pour accoucher. Elle rougissait

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