La Sorcière
gardait un fils de vingt. Mais à cinquante ans, hélas ! plus tard encore, qu'advenait-il ? Du grand sabbat, où les lointains villages se rencontraient, il pouvait ramener l'étrangère, la jeune maîtresse, inconnue, dure, sans cœur, sans pitié, qui lui prendrait son fils, son feu, son lit, cette maison qu'elle avait faite elle-même.
A en croire Lancre et autres, Satan faisait au fils un grand mérite de rester fidèle à la mère, tenait ce crime pour vertu. Si cela est vrai, on peut supposer que la femme défendait la femme, que la sorcière était dans les intérêts de la mère pour la maintenir au foyer contre la belle-fille, qui l'eût envoyée mendier, le bâton à la main.
Lancre prétend encore « qu'il n'y avait bonne sorcière qui ne naquit de l'amour de la mère et du fils ». Il en fut ainsi dans la Perse pour la naissance du mage, qui, disait-on, devait provenir de cet odieux mystère. Ainsi les secrets de magie restaient fort concentrés dans une famille qui se renouvelait elle-même.
Par une erreur impie, ils croyaient imiter l'innocent mystère agricole, l'éternel cercle végétal, où le grain, ressemé au sillon, fait le grain.
Les unions moins monstrueuses (du frère et de la sœur), communes chez les Orientaux et les Grecs, étaient froides et très-peu fécondes. Elles furent très-sagement abandonnées, et l'on n'y fût guère revenu sans l'esprit de révolte, qui, suscité par d'absurdes rigueurs, se jetait follement dans l'extrême opposé.
Des lois contre nature firent ainsi, par la haine, des mœurs contre nature.
O temps dur, temps maudit ! et gros de désespoir !
Nous avons disserté. Mais voici presque l'aube. Dans un moment, l'heure sonne qui met en fuite les esprits. La sorcière, à son front, sent sécher les lugubres fleurs. Adieu sa royauté ! sa vie peut-être !... Que serait-ce si le jour la trouvait encore ?
Que fera-t-elle de Satan ? une flamme ? une cendre ? Il ne demande pas mieux. Il sait bien, le rusé, que, pour vivre, renaître, le seul moyen, c'est de mourir.
Mourra-t-il, le puissant évocateur des morts qui donna à celles qui pleurent la seule joie d'ici-bas, l'amour évanoui et le rêve adoré ? Oh ! non, il est bien sûr de vivre.
Mourra-t-il, le puissant esprit qui, trouvant la Création maudite, la Nature gisante par terre, que l'Église avait jetée de sa robe, comme un nourrisson sale, ramassa la Nature et la mit dans son sein ? Cela ne se peut pas.
Mourra-t-il, l'unique médecin du moyen âge, de l'âge malade, qui le sauva par les poisons, et lui dit : « Vis donc, imbécile ! »
Comme il est sûr de vivre, le gaillard, il meurt tout à son aise. Il s'escamote, brûle avec dextérité sa belle peau de bouc, s'évanouit dans la flamme et dans l'aube.
Mais, elle , elle qui fit Satan, qui fit tout, le bien et le mal, qui favorisa tant de choses, d'amour, de dévouements, de crimes !... que devient-elle ? La voilà seule sur la lande déserte !
Elle n'est pas, comme on dit, l'horreur de tous. Beaucoup la béniront 52. . Plus d'un l'a trouvée belle, plus d'un vendrait sa part du paradis pour oser approcher... Mais, autour, il est un abîme, on l'admire trop, et on en a tant peur ! de cette toute-puissante Médée, de ses beaux yeux profonds, des voluptueuses couleuvres de cheveux noirs dont elle est inondée.
Seule à jamais. A jamais, sans amour ! Qui lui reste ? Rien que l'Esprit qui se déroba tout à l'heure.
« Eh bien, mon bon Satan, partons... Car j'ai bien hâte d'être là-bas. L'enfer vaut mieux. Adieu le monde ! »
Celle qui la première fit, joua le terrible drame, dut survivre très-peu. Satan obéissant avait, tout près, sellé un gigantesque cheval noir, qui, des yeux, des naseaux, lançait le feu. — Elle y monta d'un bond...
On les suivit des yeux... Les bonnes gens épouvantés disaient : « Oh ! qu'est-ce qu'elle va donc devenir ? » — En partant, elle rit, du plus terrible éclat de rire, — et disparut comme une flèche. — On voudrait bien savoir, mais on ne saura pas ce que la pauvre est devenue 1. .
49. Fort récemment encore. Mon spirituel ami M. Génin avait recueilli les plus curieux renseignements là-dessus.
50. Boguet, Lancre, tous les auteurs sont d'accord sur ce point. Rude contradiction de Satan, mais tout à fait selon le vœu du serf, du paysan, du pauvre. Satan fait germer la moisson, mais il rend la femme inféconde. Beaucoup de blé et point d'enfant.
51.
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