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La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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immondes de l'époque où les dames, grandies du hennin diabolique, faisaient valoir le ventre et semblaient toutes enceintes (admirable moyen de cacher les grossesses) 2. . Elles y tinrent ; cette mode dura quarante années. L'adolescence, d'autre part, effrontée, les éclipsait en nudités saillantes. La femme avait Satan au front dans le bonnet cornu ; le bachelier, le page, l'avaient au pied dans la chaussure à fine pointe de scorpion. Sous masque d'animaux, ils s'offraient hardiment par les bas côtés de la bête. Le célèbre enleveur d'enfants, Retz lui-même, alors page, prit là son monstrueux essor. Toutes ces grandes dames de fiefs, effrénées Jézabels, moins pudibondes encore que l'homme, ne daignaient se déguiser. Elles s'étalaient à face nue. Leur furie sensuelle, leur folle ostentation de débauche, leurs outrageux défis, furent pour le roi, pour tous, — pour le sens, la vie, et corps, l'âme, — l'abîme et le gouffre sans fond.
    Ce qui en sort, ce sont les vaincus d'Azincourt, pauvre génération de seigneurs épuisés qui, dans les miniatures, font grelotter encore à voir sous un habit perfidement serré leurs tristes membres amaigris 3. .
     
    Je plains fort la sorcière, qui, au retour de la grande dame après la fête du roi, sera sa confidente et son ministre, dont elle exigera l'impossible.
    Au château, il est vrai, elle est seule, l'unique femme, ou à peu près, dans un inonde d'hommes non mariés. A en croire les romans, la dame aurait eu plaisir à s'entourer de jolies filles. L'histoire et le bon sens disent justement le contraire. Éléonore n'est pas si sotte que de s'opposer Rosamonde. Ces reines et grandes dames, si licencieuses, n'en sont pas moins horriblement jalouses, (exemple, celle que conte Henri Martin, qui fit mourir sous les outrages des soldats une fille qu'admirait son mari). La puissance d'amour de la dame, répétons-le, tient à ce qu'elle est seule. Quels que soient la figure et l'âge, elle est le rêve de tous. La sorcière a beau jeu de lui faire abuser de sa divinité, de lui faire faire risée de ce troupeau de mâles assotis et domptés. Elle lui fait oser tout, les traiter comme bêtes. Les voila transformés. Ils tombent à quatre pattes, singes flatteurs, ours ridicules, ou chiens lubriques, pourceaux avides à suivre l'outrageuse Circé.
    Tout cela fait pitié ! Elle en a la nausée. Elle repousse du pied ces bêtes rampantes. C'est immonde, pas assez coupable. Elle trouve à son mal un absurde remède. C'est (lorsque ceux-ci sont si nuls) d'avoir plus nul encore, de prendre un tout petit amant. Conseil digne de la sorcière. Susciter, avant l'heure, l'étincelle dans l'innocent qui dort du pur sommeil d'enfance. Voilà la laide histoire du petit Jehan de Saintré, type des Chérubins et autres poupées misérables des âges de décadence.
    Sous tant d'ornements pédantesques et de moralité sentimentale, la basse cruauté du fond se sent très-bien. On y tue le fruit dans la fleur. C'est, en un sens, la chose qu'on reprochait à la sorcière, « de manger des enfants ». Tout au moins, on en boit la vie. Sous forme tendre et maternelle, la belle dame caressante n'est-elle pas un vampire pour épuiser le sang du faible ? Le résultat de ces énormités, le roman même nous le donne. Saintré, dit-il, devient un chevalier parfait, mais parfaitement frêle et faible, si bien qu'il est bravé, défié, par le butor de paysan abbé, en qui la dame, enfin mieux avisée, voit ce qui lui convient le mieux.
     
    Ces vains caprices augmentent le blasement, la fureur du vide. Circé, au milieu de ses bêtes, ennuyée, excédée, voudrait être hôte elle-même. Elle se sent sauvage, elle s'enferme. De la tourelle, elle jette un regard sinistre sur la sombre forêt. Elle se sent captive, et elle a la fureur d'une louve qu'on lient à la chaîne. — « Vienne à l'instant la vieille !.... Je la veux. Courez-y. » — Et deux minutes après : « Quoi ! n'est-elle pas déjà venue ? »
    La voici. « Écoute bien... J'ai une envie... (tu le sais, c'est insurmontable), l'envie de t'étrangler, de te noyer ou de te donner à l'évêque qui déjà te demande... Tu n'as qu'un moyen d'échapper, c'est de me satisfaire une autre envie , — de me changer en louve. Je m'ennuie trop. Assez rester. Je veux, au moins la nuit, courir librement la forêt. Plus de sots serviteurs, de chiens qui m'étourdissent, de chevaux maladroits qui heurtent, évitent

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