La Sorcière
Capucins n'avaient pas fait jurer à leur diable de dire vrai. Pauvre réponse, qui fut pourtant appuyée par la tremblante Madeleine.
Celle-ci, comme un chien battu et qui craint de l'être encore, était capable de tout, même de mordre et de déchirer. C'est par elle qu'en cette crise Louise horriblement mordit.
Elle-même dit seulement que l'évêque, sans le savoir, offensait Dieu. Elle cria « contre les sorciers de Marseille, » sans nommer personne. Mais le mol cruel et fatal, elle le fit dire par Madeleine. Une femme qui depuis deux ans avait perdu son enfant fut désignée par celle-ci comme l'ayant étranglé. La femme, craignant les tortures, s'enfuit ou se tint cachée. Son mari, son père, en larmes, vinrent à la Sainte-Baume, sans doute pour fléchir les inquisiteurs. Mais Madeleine n'eût jamais osé se dédire ; elle répéta l'accusation.
Qui était en sûreté ? Personne. Du moment que le Diable était pris pour vengeur de Dieu, du moment qu'on écrivait sous sa dictée les noms de ceux qui pouvaient passer par les flammes, chacun eut de nuit et de jour le cauchemar affreux du bûcher.
Marseille, contre une telle audace de l'Inquisition papale, eût dû s'appuyer du Parlement d'Aix. Malheureusement elle savait qu'elle n'était pas aimée à Aix. Celle-ci, la petite ville officielle de magistrature et de noblesse, a toujours été jalouse de l'opulente splendeur de Marseille, cette reine du Midi. Ce fut tout au contraire l'adversaire de Marseille, l'inquisiteur papal, qui, pour prévenir l'appel de Gauffridi au Parlement, y eut recours le premier. C'était un corps très-fanatique dont les grosses têtes étaient des nobles enrichis dans l'autre siècle au massacre des Vaudois. Comme juges laïques, d'ailleurs, ils furent ravis de voir un inquisiteur du pape créer un tel précédent, avouer que, dans l'affaire d'un prêtre, dans une affaire de sortilège, l'inquisition ne pouvait procéder que pour l'instruction préparatoire. C'était comme une démission que donnaient les inquisiteurs de toutes leurs vieilles prétentions. Un côté flatteur aussi où mordirent ceux d'Aix, comme avaient fait ceux de Bordeaux, c'était qu'eux, laïques, ils fussent érigés par l'Église elle-même en censeurs et réformateurs des mœurs ecclésiastiques.
Dans cette affaire, où tout devait être étrange et miraculeux, 'ce ne fut pas la moindre merveille de voir un démon si furieux devenir tout à coup flatteur pour le Parlement, politique et diplomate. Louise charma les gens du roi par un éloge du feu roi. Henri IV (qui l'aurait cru ?) fut canonisé par le Diable. Un matin, sans à propos, il éclata en éloges « de ce pieux et saint roi qui venait de monter au ciel ».
Un tel accord des deux anciens ennemis, le Parlement et l'inquisition, celle-ci désormais sûre du bras séculier, des soldats et du bourreau, une commission parlementaire envoyée à la Sainte-Baume pour examiner les possédées, écouter leurs dépositions, leurs accusations, et dresser des listes, c'était chose vraiment effrayante. Louise, sans ménagement, désigna les Capucins, défenseurs de Gauffridi, et annonça « qu'ils seraient punis temporellement » dans leur corps et dans leur chair.
Les pauvres Pères furent brisés. Leur diable ne souffla plus mot. Ils allèrent trouver l'évêque, et lui dirent qu'en effet on ne pouvait guère refuser de représenter Gauffridi à la Sainte-Baume, et de faire acte d'obéissance ; mais qu'après cela l'évêque et le chapitre le réclameraient, le replaceraient sous la protection de la justice épiscopale.
On avait calculé aussi sans doute que la vue de cet homme aimé allait fort troubler les deux filles, que la terrible Louise elle-même serait ébranlée des réclamations de son cœur.
Ce cœur, en effet, s'éveilla à l'approche du coupable ; la furieuse semble avoir eu un moment d'attendrissement. Je ne connais rien de plus brûlant que sa prière pour que Dieu sauve celui qu'elle a poussé à la mort : « Grand Dieu, je vous offre tous les sacrifices qui ont été offerts depuis l'origine du monde et le seront jusqu'à la fin... le tout pour Louis !... Je vous offre tous les pleurs des saints, toutes les extases des anges... le tout pour Louis ! Je voudrais qu'il y eût plus d'âmes encore pour que l'oblation fût plus grande... le tout pour Louis ! Pater de cœlis Deus, miserere Ludovici ! Fili redemptor mundi Deus, miserere Ludovici !... » etc.
Vaine
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