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La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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ceux-ci !... Sodome, rien de pareil n'a jamais été dit de toi !... »
    Elle dit aussi : « Madeleine est livrée à l'impureté ! » C'était, en effet, le plus triste. La pauvre folle, par une joie aveugle de vivre, de n'être pas brûlée, ou par un sentiment confus que c'était elle maintenant qui avait action sur les juges, chanta, dansa par moments avec une liberté honteuse, impudique et provocante. Le prêtre de la Doctrine, le vieux Romillion, en rougit pour son Ursuline. Choqué de voir ces hommes admirer ses longs cheveux, il dit qu'il fallait les couper, lui ôter cette vanité.
    Elle était obéissante et douce dans ses bons moments. Et on aurait bien voulu en faire une Louise. Mais ses Diables étaient vaniteux, amoureux, non éloquents et furieux, comme ceux de l'autre, Quand on voulut les faire prêcher, ils ne dirent que des pauvretés. Michaëlis fut obligé de jouer la pièce tout seul. Comme inquisiteur en chef, tenant à dépasser de loin son subordonné flamand, il assura avoir déjà tiré de ce petit corps une armée de six mille six cent soixante diables ; il n'en restait qu'une centaine. Pour mieux convaincre le public, il lui fit rejeter le charme ou sortilège qu'elle avait avalé, disait-il, et le lui tira de la bouche dans une matière gluante. Qui eût refusé de se rendre à cela ? L'assistance demeura stupéfaite et convaincue.
    Madeleine était en bonne voie de salut. L'obstacle était elle-même. Elle disait à chaque instant des choses imprudentes qui pouvaient irriter la jalousie de ses juges et leur faire perdre patience. Elle avouait que tout objet lui représentait Gauffridi, qu'elle le voyait toujours. Elle ne cachait pas ses songes érotiques. « Cette nuit, disait-elle, j'étais au sabbat. Les magiciens adoraient ma statue toute dorée. Chacun d'eux, pour l'honorer, lui offrait du sang, qu'ils tiraient de leurs mains avec des lancettes, Lui , il était là, à genoux, la corde au cou, me priant de revenir à lui et de ne pas le trahir... Je résistais... Alors il dit : « Y a-t-il quelqu'un ici qui veuille mourir pour elle ? — Moi, dit un jeune homme, » et le magicien l'immola. »
    Dans un autre moment, elle le voyait qui lui demandait seulement un seul de ses beaux cheveux blonds. « Et, comme je refusais, il dit : « La moitié au moins d'un cheveu. »
    Elle assurait cependant qu'elle résistait toujours. Mais un jour, la porte se trouvant ouverte, voilà notre convertie qui courait à toutes jambes pour rejoindre Gauffridi.
    On la reprit, au moins le corps. Mais l'âme ? Michaëlis ne savait comment la reprendre. Il avisa heureusement son anneau magique. Il le tira, le coupa, le détruisit, le brûla. Supposant aussi que l'obstination de cette personne si douce venait des sorciers invisibles qui s'introduisaient dans la chambre, il y mit un homme d'armes, bien solide, avec une épée, qui frappait de tous les côtés, et taillait les invisibles en pièces.
    Mais la meilleure médecine pour convertir Madeleine, ce fut la mort de Gauffridi. Le 5 février, l'inquisiteur alla prêcher le Carême à Aix, vit les juges et les anima. Le Parlement, docile à son impulsion, envoya prendre à Marseille l'imprudent, qui, se voyant si bien appuyé de l'évêque, du chapitre, des Capucins, de tout le monde, avait cru qu'on n'oserait.
    Madeleine d'un côté, Gauffridi de l'autre, arrivèrent à Aix. Elle était si agitée, qu'on fut contraint de la lier. Son trouble était épouvantable, et l'on n'était plus sur de rien. On avisa un moyen bien hardi avec cette enfant si malade, une de ces peurs qui jettent une femme dans les convulsions et parfois donnent la mort. Un vicaire général de l'archevêché dit qu'il y avait en ce palais un noir et étroit charnier, ce qu'on appelle en Espagne un pourrissoir (comme on en voit à l'Escurial). Anciennement on y avait mis se consommer d'anciens ossements de morts inconnus. Dans cet antre sépulcral, on introduisit la fille tremblante. On l'exorcisa en lui appliquant au visage ces froids ossements. Elle ne mourut pas d'horreur, mais elle fut dès lors à discrétion, et l'on eut ce qu'on voulait, la mort de la conscience, l'extermination de ce qui restait de sens moral et de volonté.
    Elle devint un instrument souple, à faire tout ce qu'on voulait, flatteuse, cherchant à deviner ce qui plairait à ses maîtres. On lui montra des huguenots, et elle les injuria. On la mit devant Gauffridi, et elle lui dit par cœur

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