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La Trahison Des Ombres

La Trahison Des Ombres

Titel: La Trahison Des Ombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul C. Doherty
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l’innocent
dont les joues étaient gonflées. Sorrel sourit. Des friandises ! Puis son
sourire s’effaça quand un souvenir lui traversa l’esprit. Bien des fois elle
avait vu Peterkin s’empiffrer. Un jour, dans les champs, elle était tombée sur
l’idiot qui portait une petite boîte d’oranges, fruits rares qui coûtaient une
fortune. Elle s’était interrogée alors, comme elle le faisait encore :
comment pouvait-il s’offrir un tel luxe ? En fait, il ne s’était pas
montré si stupide en cette occasion mais, l’œil vif et sur la défensive, il
avait serré la boîte contre lui et détalé à toutes jambes. Comment un simple d’esprit
comme lui se procurait-il de l’argent ? Il est vrai que Melford s’enrichissait
et que jeunes galants et soupirants employaient Peterkin pour faire parvenir
leurs messages à leur bien-aimée.
    Du coin de l’œil, Sorrel aperçut un homme qui,
ayant grimpé en tapinois les marches de la croix, tendait le bras pour s’emparer
de sa besace. D’un geste preste de son gourdin, elle lui donna un bon coup sur
les doigts. Repton, l’échevin, le courroux envahissant son visage revêche,
recula.
    — Ne touche pas à ce qui ne t’appartient
point ! l’avertit Sorrel.
    — J’ai entendu ta querelle avec le bailli,
riposta Repton en se frottant la main. Tu as encore volé, Sorrel ?
    — Non, je n’ai pas volé. Je suis une
honnête femme, Maître Repton. Je ne mens pas, serment ou non !
    L’échevin cessa de ricaner.
    — Que veux-tu dire ?
    Il jeta un bref regard à gauche et à droite. Il
regrettait son acte, à présent. Il avait avalé deux pintes de godale à La
Toison d’or et savait qu’Adela, la servante, le surveillait par
la croisée. Ayant vu la « catin du braconnier », comme il nommait
Sorrel, gravir les degrés de la croix du marché, il s’était fait fort de
découvrir ce qu’elle cachait dans sa besace. Et maintenant il avait les doigts
brûlants et la bière était devenue aigre au fond de son gosier.
    — Tu le sais bien, répondit Sorrel d’un ton
calme. La nuit où a été assassinée la veuve Walmer. Furrell m’a narré ce dont
il avait été témoin.
    Repton fit un bruit grossier du bout des lèvres.
    — Je n’ai point l’intention de deviser avec
toi, dit-il, méprisant, en s’éloignant d’un air fanfaron.
    La femme ouvrit son sac, en examina le contenu
et eut un grand sourire. Trois faisans dodus : elle les avait piégés l’un
après l’autre, leur avait coupé le cou et les avait suspendus une journée
entière. Matthew Alliot, le tavernier et propriétaire de La
Toison d’or, en donnerait un bon prix.
    — Les voilà ! cria un homme.
    Sorrel se mit debout avec peine. Trois cavaliers
étaient arrivés sur la place du marché au moment même où la cloche de l’église
sonnait l’angélus du matin. À première vue, ils n’avaient rien d’émissaires
royaux : sans trompette ni héraut, ce n’était que des hommes affalés sur
leur selle, chapes noires remontées sur les épaules, capuchons rabattus
dissimulant leur figure. Sorrel saisit sa besace, fendit la foule et passa
devant les étals : quand elle fut parvenue à l’entrée de l’auberge, les
trois arrivants avaient déjà mis pied à terre et un valet d’écurie emmenait
leurs montures. Comme des voyageurs las d’un long trajet, ils dégrafaient à
présent leur pèlerine et s’étiraient pour délasser reins, cuisses et jambes. L’un
d’entre eux, plus petit que ses compagnons, était de toute évidence un
palefrenier et portait, comme un soldat, un justaucorps de cuir. Son visage
était avenant bien qu’il louchât. Le jeune homme élancé, cheveux roux et allure
agile d’un combattant de rue, devait être Ranulf-atte-Newgate.
    Sorrel eut un sourire et son regard se tourna
vers Sir Hugh Corbett. De la même taille que son ami roux, Corbett avait le
teint mat et des cheveux noirs striés de gris attachés sur la nuque. Ses
vêtements  – chemise blanche sous son pourpoint et chausses de laine bleue
 – étaient de bonne qualité et ses bottes à haut talon coupées dans le
meilleur cuir d’Espagne. Corbett tenait sa chape sur un bras et s’affairait à
déboucler son ceinturon. Il leva les yeux vers La Toison
d’or comme pour en mémoriser le moindre détail avant d’embrasser
du regard la place du marché. Sorrel aimait comparer humains et animaux. « Oui,
pensa-t-elle, tu es un lévrier, sombre et rapide comme une flèche,

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