La ville qui n'aimait pas son roi
Elle s’est battue pour moi, pourtant elle est la fille de Mgr Louis de Condé, la petite-fille de Saint Louis.
Elle se signa et les épiciers restèrent interloqués. Cette femme, une princesse? Leurs regards passèrent de Cassandre à l’abbesse qui restait impénétrable.
— Je reconnais ne pas être très élégante ainsi, admit Cassandre en souriant. Mais j’ai eu un différend avec un de mes serviteurs cette nuit…
Elle planta ses yeux dans ceux de l’abbesse qui les baissa.
— Comment va-t-il? demanda-t-elle d’une voix froide.
— Il est mort, balbutia l’autre, en faisant un signe de croix.
— Qu’il brûle en Enfer! siffla Cassandre.
Les deux épiciers restèrent pétrifiés à ce brutal échange. Que s’était-il passé? La haine était palpable entre la fille de Condé et l’abbesse. Ils n’osaient plus dire un mot.
— Le roi saura que nous sommes prisonnières, leur déclara alors Cassandre avec une grande douceur. Il nous fera libérer… gardez confiance, votre fille rentrera bientôt chez vous.
Ne sachant que dire les deux épiciers embrassèrent Marguerite et partirent le cœur gros. On ramena les deux femmes dans leur
prison.
Le lendemain dimanche, les deux prisonnières furent autorisées à se laver au puits de la basse cour avant l’office. À l’occasion
de cette messe fut aussi célébré le service funèbre de l’homme que Cassandre avait tué à coups de pot de chambre. Quand il
commença, elle sortit de l’église.
Au Porc-Épic, les beaux-parents de Nicolas Poulain relatèrent l’entretien. Si Poulain fut rassuré, Olivier resta partagé. Que s’était-il passé au couvent? Pourquoi son épouse avait-elle tué un homme? Il savait qu’elle en était capable, mais la cause devait en être terrible. Avait-il tenté de la violenter? Toutes ces questions se bousculaient, mais les épiciers ne pouvaient répondre sinon quela dame qu’ils avaient vue leur était apparue sûre d’elle et en bon état physique, même si sa chevelure était parsemée de
croûtes de sang.
Avant qu’ils ne partent, Nicolas leur remit cent écus et leur dit qu’il préviendrait le changeur du Pont-au-Change à qui il
avait confié dix mille livres pour qu’ils aillent chercher ce dont ils avaient besoin afin de remettre leur boutique en état.
Il leur dit aussi qu’Henri III lui avait promis vingt mille écus et qu’il ferait le nécessaire pour que les deux femmes soient
libérées. Olivier renchérit en assurant que le roi de Navarre ferait aussi tout son possible. Peut-être y aurait-il échange
de prisonniers.
Lacroix s’était vite rendu compte qu’il avait perdu Nicolas Poulain. Il n’en fut pas affecté, car il s’y attendait. Si pendant
trois ans cet homme était parvenu à tromper la Ligue, c’est qu’il savait semer le plus adroit suiveur.
Mais dans son genre, Lacroix était aussi un homme talentueux. Il avait déjà rattrapé bien des hommes pour M. de Villequier,
à commencer par l’amant de sa femme, et il disposait d’autres moyens pour retrouver Poulain. Pour l’instant, il avait faim
et soif.
Il passa si facilement la porte Saint-Honoré que cela l’étonna. Il n’y avait ni gardes du roi ni guet bourgeois, seulement
quelques va-nu-pieds qui fouillaient uniquement ceux qui sortaient de Paris pour voler leurs bagages.
Il suivit la rue jusqu’à l’ancienne porte Saint-Honoré avant de tourner à droite dans la rue des Poulies. Le porche de l’hôtel
de Villequier était fermé. Il frappa plusieurs fois avant qu’on ne l’interpelle par l’échauguette. Il se nomma, on le reconnut,
et on le fit entrer.
La plus garde partie de la garde de M. de Villequier, ainsi que ses serviteurs, étaient encore là. Il fit appeler l’intendant
et se fit servir à dîner en pensant à son maître et à ce qu’il lui avait ordonné.
C’est à la fin de l’année précédente que Mayneville avait demandé à M. de Villequier d’interroger Nicolas Poulain. On le sait,
Poulain n’avait rien reconnu et Villequier avait rassuré Mayneville, puis ne s’était plus intéressé au lieutenant du prévôt
jusqu’au jour où il avait découvert dans le cabinet du roi un document détaillant les entreprises de la Ligue.
C’était le mémoire qu’Henri III avait demandé à Nicolas Poulain d’écrire pour le marquis d’O. Villequier en était resté stupéfait. D’abord plein de rage pour avoir été trompé, puis
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