La ville qui n'aimait pas son roi
seul. Poulain ne s’attendait pas à rencontrer là le marquis d’O.
Tous deux avaient l’air grave. Il fit quelques pas et s’agenouilla devant Henri III, baissa la tête, puis en la relevant fit
un signe de courtoisie au marquis. Il n’avait plus vule roi depuis ce jour où Séguier l’avait fait sortir de prison pour qu’il lui raconte les projets infâmes de la sainte union.
Il le trouva fort changé. En trois ans, Henri III avait vieilli de dix. Il faut dire que son valet de chambre n’avait pas
encore attaché son râtelier dans sa bouche édentée. Pas habillé et pas maquillé, le teint blafard, recroquevillé sur son siège,
celui qui avait été le beau duc d’Anjou ressemblait à un vieillard au seuil de la mort. Une sinistre impression aggravée par
le chapelet aux perles en forme de têtes de mort qu’il tenait serré dans ses mains décharnées.
— Marquis, voilà celui qui m’a donné tous les avis de ce que ceux de la Ligue font contre moi 1 , dit-il d’une voix morne.
À ces mots, Poulain comprit que le marquis d’O n’avait jamais parlé au roi de son rôle dans l’affaire des tailles. Il lui
fit un bref sourire de reconnaissance. Au moins ce n’est pas de lui que viendrait une indiscrétion.
— Vraiment, sire? Alors, il mérite une bonne récompense! déclara François d’O.
— Vous aurez vingt mille écus, monsieur Poulain.
Henri III eut une quinte de toux avant de préciser, sarcastique :
— Dès que je pourrai vous les faire porter! Maintenant, je veux entendre ce que vous savez de mes amis de la Ligue, puisqu’il est dit qu’il ne faut point puiser aux ruisseaux quand on peut le faire à la source.
En bon courtisan, O sourit à la raillerie, puis Nicolas raconta ce que la Ligue préparait : les trente mille hommes armés
décidés à prendre la ville et le Louvre avec l’aide des cavaliers d’Aumale, l’assassinat d’Épernon et enfin l’arrivée du duc
de Guise.
Au fur et à mesure qu’il s’exprimait, le visage du marquis d’O s’allongeait, devenait plus dur, tandis que celui du roisemblait pris d’une vie propre. Des mouvements convulsifs agitaient sa bouche, ses paupières papillonnaient et parfois ses
mains tremblaient. Il ne retrouva son calme qu’après que Nicolas eut terminé.
— Monsieur Poulain, dit-il alors d’une voix maîtrisée. Mettez-moi tout cela dans un mémoire que vous porterez au marquis d’O. En redescendant, vous donnerez votre adresse à M. de Petrepol en qui vous pouvez avoir confiance.
— Si je devais revenir porter une information capitale, sire, devrais-je chercher M. de Petrepol?
Le roi médita un instant avant de proposer :
— Non, présentez-vous au pont dormant et demandez M. de Larchant. C’est le capitaine de ma garde et vous pouvez être assuré de sa loyauté. Sinon, faites chercher M. de Bellegarde, mon premier gentilhomme, ou M. de Montigny qui commande les portes du Louvre.
Poulain comprit que l’entretien était terminé et se retira. De retour dans la salle des cariatides, il retrouva le gentilhomme
à la balafre à qui il donna – non sans inquiétude – son nom et celui de l’enseigne de sa maison.
Celui-ci l’accompagna jusqu’à l’écurie de la cour où était son cheval. Nicolas aurait préféré éviter de sortir par là, car il y avait beaucoup de monde dehors. Effectivement, à peine était-il en selle qu’il aperçut le commissaire Louchart et le sergent Michelet, l’homme des basses œuvres de la sainte union. Étaient-ils là pour l’espionner? Il ressentit un frisson glacial en les voyant s’avancer vers lui.
— D’où venez-vous, monsieur Poulain? demanda Louchart dont le visage de furet au teint bilieux marquait une défiance évidente.
Bénissant le mémoire que l’huissier lui avait donné, Nicolas le sortit et le lui tendit avec nonchalance en lui expliquant
qu’il venait de rencontrer un huissier du conseil proche du marquis d’O au sujet de ses gages qui n’étaient pas payés, comme
pour les autres prévôts des maréchaux.Cet homme lui avait promis de présenter une requête au nom du marquis.
Il en était là dans ses explications quand justement le marquis apparut, venant de la salle des cariatides. Il s’approcha
du groupe, jeta un regard hostile à Louchart et déclara :
— On m’a remis la copie de votre mémoire, monsieur Poulain. On vous fera justice. Revenez demain.
Le lendemain samedi, veille de
Weitere Kostenlose Bücher