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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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aisée.
    — Monsieur, dis-je, fort ému, je suis transporté d’aise
à vous ouïr parler ainsi et je ne faillirai pas de rapporter ces propos à mon
père, lequel vous voudra sans aucun doute inviter à partager le sel et le pain
en notre logis du Champ Fleuri.
    — Ce serait fort aimable à lui, dit le Baron de
Salignac, mais je ne sais si j’aurai le loisir d’accepter. À peine suis-je céans
depuis dix jours que l’envie me démange excessivement de regagner au plus tôt
mes douces retraites paternelles.
    — Quoi ! Monsieur, déjà ! Avez-vous déjà
sollicité ?
    — Oui-da ! Mais à considérer le nombre de
greffiers, de juges, d’avocats et autres chats fourrés dont je devrais graisser
le poignet, j’eusse plus tôt fait, je gage, de perdre mon procès : il m’en
coûterait moins cher. Mais surtout, je hais cette villasse !
    — Est-ce cette grande Paris que vous nommez
ainsi ?
    — Oui, Monsieur ! dit le Baron en s’échauffant. Et
je ne m’en dédis pas. Elle est grande, sans doute, mais puante, bruyante et
périlleuse. On y marche dans la boue, la merde et la pisse. Si vous n’y prenez
garde, on vous coupe la bourse, ou on vous tire le manteau en un tournemain ;
on vous gruge ès auberges pour de fort maigres pots, on vous extorque des
fortunes pour des chambrettes dont le fenestrou est à peine assez grand pour
laisser passer l’air ; les lits sont puceux, les draps douteux, les
chambrières impertinentes et si visiblement vérolées que je ne voudrais
seulement y mettre le bout de ma canne.
    — Mais Monsieur, dis-je, ne pouviez-vous loger chez
votre petit-neveu ?
    — Cela ne se peut. Il loge au Louvre. Et si fort que me
déplaise cette grand’villasse, la cour, elle, me soulève le cœur. On s’y coupe
la gorge en duel pour des querelles de néant. On y vend ses prés, ses champs et
ses labours pour se mettre sur le dos des vêtures extravagantes, on jure vingt
fois l’heure le saint nom de Dieu, on joue gros jeu à perdre sa chemise ;
quand on ne joue pas, on n’y est occupé que de putasseries et de maquerellages.
Tant est qu’on se demande, à la parfin, si on est en pays chrétien ou chez les
Turcs, à la cour d’un grand roi ou au bordeau ? Pis même, poursuivit-il en
baissant la voix, la sodomie règne tellement à la cour qu’il y a presse pour
mettre la main aux braguettes, les instruments desquelles ces déshontés muguets
appellent leurs épées de chevet. Jour de ma vie, Monsieur ! Si nous
n’avions eu que des épées de ce calibre pour battre l’Espagnol, nous ne
l’aurions jamais reconduit hors de France !…
    Je ris à ouïr cette verte diatribe, ce que voyant. Monsieur
de Salignac rit aussi, n’étant pas de ces hommes dont la morale est morose. Et
Romorantin qui avait écouté ce discours l’œil baissé, se peut parce qu’il
comptait parmi les déshontés muguets dont son grand-oncle avait parlé, fut
comme rassuré par cette gaité et, oubliant « son sourire à la
négligente », s’ébaudit à belles dents. Il paraissait, de reste, aimer
beaucoup son parent en dépit du fossé que creusaient entre eux son âge et le
sien, et des façons de vivre aussi éloignées l’une de l’autre que s’ils avaient
vécu dans des mondes différents.
    Je commençais à me plaire en la compagnie de Monsieur de
Salignac tant il sentait le vieux temps, les chevauchées par combes et pechs [30] , et les savoureux dîners au coin de
l’âtre dans les châteaux du Périgord. Par malheur, Monsieur de Réchignevoisin,
muet messager des ordres de Son Altesse, me fit signe de loin de le venir
trouver et je dus, à grand regret, quérir mon congé de l’honnête gentilhomme,
non sans lui avoir demandé le nom de l’auberge où il gîtait, étant bien assuré
que mon père serait ravi de le voir et de l’avoir chez nous.
    Quelle fraîche bouffée de nos champs sarladais le bonhomme
m’avait apportée avec son accent, sa verve, son bon sens paysan ! Et
quelles heureuses remembrances il ravivait en moi de l’été 1606 que j’avais
passé tout entier en la châtellenie de Mespech, mettant la main aux foins, aux
moissons et aux vendanges, mon grand-père manquant de bras, ou prétendant qu’il
en manquait, pour me mettre, je pense, à l’épreuve. Et cette nuit, en ce bal,
il n’eût pu mieux faire, ce vieux Siorac, s’il m’avait délégué tout exprès de
Dordogne son compère barbu en son gris pourpoint pour me ramentevoir qu’il y
avait en

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