La Volte Des Vertugadins
fît partie de ces dames qui sont un peu sujettes à
donner des rendez-vous à d’autres qu’à leurs conjoints, mais quoi qu’il en fût,
après la mort du Prince, elle épousa Bassompierre, lequel lui fut fidèle trente
ans, se montrant, à l’étonnement général, un aussi bon mari qu’il avait été
jusque-là le plus dévoué des oncles. La Surie, qui avait une tournure d’esprit
un peu cynique, prétendait que si Bassompierre avait eu du mérite à se priver
de ses nièces pendant les vingt premières années de son mariage, il n’en eut
aucun les dix dernières années pour la raison qu’il les passa à la Bastille.
Il s’y trouvait, de reste, fort bien accommodé en mobilier
(le sien), en dîners fins (qu’il faisait venir des meilleurs traiteurs), en
chauffage (on lui livrait son bois) et en domestique (il avait deux valets et
un petit vas-y-dire) sans compter les visites de ses amis et de la
Princesse – à laquelle étaient réservées les heures de la sieste.
Néanmoins, quand Bassompierre, après la mort de Richelieu, sortit enfin de sa
geôle dorée, la cour trouva qu’il avait neigé sur ses beaux cheveux blonds.
Mais comme une marquise lui en faisait méchamment la remarque, Bassompierre
montra qu’il n’avait rien perdu de sa vivacité d’esprit et répliqua :
« Madame, je suis comme le poireau : la tête est blanche, mais la
queue est verte. »
Charlotte des Essarts, elle, n’eut pas à se forcer beaucoup
pour faire la dédaigneuse en dansant avec Monsieur de Vitry la courante de
Vendée. Pour la favorite d’un grand Roi (dont elle portait alors un enfant
en son sein) un capitaine des gardes faisait piètre figure. D’autant que Vitry,
tout vaillant et viril qu’il fût, n’était ni fort beau, ni fort riche. De ses
deux soupirants – l’archevêque et le capitaine – Charlotte montra
bien, après la mort du Roi, qu’elle préférait à tous égards le premier. Ce fut
l’époque où les ouailles de l’archevêché de Reims (lequel rapportait à son
bénéficiaire cent mille livres de rentes par an) se plaignaient fort de voir si
peu en leurs murs le sémillant Monseigneur de Guise, lequel dépensait son
revenu à Paris d’une façon qui n’édifiait personne. Et personne, en effet,
n’était fort satisfait de cette situation, ni la Régente qui était vertueuse,
ni Madame de Guise qui n’avait cure de la vertu, mais craignait le scandale, ni
le Pape qui hésitait à donner à l’intéressé le chapeau de cardinal, ni
Charlotte elle-même que tourmentaient à la fois des scrupules de conscience et
le souci de son établissement.
Pour en revenir à Noémie de Sobole et à moi-même, le Roi
nous donna le prix, et primesautier comme il était toujours, au lieu de nous
faire venir à lui, descendit de son pas vif dans la salle, me remit la bourse
et embrassa Noémie sur les deux joues : baisers qui furent pour elle, sa
vie durant, son plus ému souvenir et son plus grand honneur. Le Roi regagnant
son estrade, je mis un genou à terre devant ma cavalière et ostensiblement, je
lui offris la bourse qu’elle accepta sans tant languir : geste qui fut
fort applaudi, surtout par les dames. « Vous fîtes bien, mon fils »,
dit mon père. « Vous fûtes sot, mon filleul, dit Madame de Guise.
Cinquante écus n’est pas petite somme. Et que gagnez-vous à faire tant le
magnifique avec une fille d’honneur ? »
La Surie avait eu la bonne pensée de me garder mon tabouret
pendant que je dansais la courante de Vendée avec la Sobole et fut assez
bon pour me quitter la place, quand je revins à ma plante verte. À vrai dire,
je n’étais pas tant lassé que sommeilleux, comme j’ai dit déjà, et dès que La
Surie me laissa, j’eusse volontiers dormi tout assis, les jambes écartées et
jetées devant moi et le dos accoté à la tenture du mur. Mais cela ne se put. Un
fâcheux, sous les traits et la très précieuse apparence du petit Marquis de
Romorantin, me vint troubler en mon repos car, à peine avais-je clos un œil que
sa voix caquetante m’éveilla. Je m’ébrouai : il était là et bien là, en sa
complète panoplie de poupelet de cour, sans que manquassent à sa vêture le
moindre passement, frange, ruban, galon d’or et broderie, sans compter un « sourire
à la négligente » posé point du tout négligemment sur ses lèvres, tandis
qu’il me saluait en faisant virevolter, de haut en bas et de long en large, les
plumes blanches et amarante de
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