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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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son chapeau de castor.
    —  Mous sieu , dit-il de sa voix haut perchée,
je suis vou tre humble serviteur. J’ai eu l’ houn neur de vous en coun trer
en vou tre lou gis du Champ Fleuri pour vous pour ter une
lettre du Roi.
    — Monsieur, dis-je en étouffant un bâillement, je suis
dans le ravissement de vous revoir. Bien je me souviens de vous et de vous boun nes
le çouns. Vous m’avez appris à remplacer les « o » par les
« ou » et à supprimer les « d ». Mais je crains fourt de ne point être aussi adroit que vous en ces raffinements.
    — Il y faut ou ne loun gue pratique, dit
Romorantin d’un air satisfait, et aussi quelque petite habileté où je ne crés pas que vous faillez, non plus qu’en amirable vouloun té à apprendre.
Mais pour lours, Moussieur, je viens à vous en é puté…
    — En éputé ?
    —  En député, pour parler le dialecte vulgaire.
Poursuivrai-je, Mous sieur ?
    — Poursuivez, de grâce.
    — Je viens en é puté de moun grand- oun cle,
le Ba roun de Salignac, présent céans, lequel vous salue bien, Mous sieur , par moun truchement et voudrait sav ér de vous, si vous êtes
apparenté à Jean de Siorac, Ba roun de Mespech.
    — C’est mon grand-père.
    —  Vou tre grand-père ! Mon grand- oun cle
en sera charmé ! Il arrive à peine de son Péri gourd pour soul liciter
en un prou cés touchant une maison qui est à lui en le quartier de
Hulepoix [28] .
    — Mais ne connaît-il pas mon père ?
    — Nenni, Mous sieur , il ne coun naît
per soun ne , mettant le pied pour la première fis en Paris,
laquelle il a pris, tout soudain ainsi que la cour, en f our te é testation.
    — Et comment moi me connaît-il ?
    — Il vous a ouï noum mer par le Roi quand Sa
Majesté vous a baillé le prix de cent écus pour la courante de Vendée. Et
il a grand appétit à vous coun naître et à vous bailler des nouvelles de vou tre
grand-père. Peux-je vous amener à lui ?
    Sans les nouvelles que Romorantin annonçait, j’eusse
peut-être trouvé quelque défaite ou quelque remise pour non point bouger de mon
tabouret. Mais j’étais raffolé du Baron de Mespech et d’autant plus avide
d’ouïr de sa santé qu’il était fort vieil, allant, si bien je me ressouvenais,
sur ses quatre-vingt-treize ans.
    Dès que je fus debout, Romorantin, qui avait les manières
les plus caressantes du monde, me prit par le bras pour me guider dans la
presse jusqu’à son aïeul qu’il me décrivit en chemin comme un gentilhomme
« à la vieille française », vêtu morosement de gris sans la moindre
passementerie, avec une petite fraise à la huguenote. « Avec lui,
m’avisa-t-il, force nous sera de parler le “ ia lecte vulgaire” pour non
point le courroucer, pour la raison qu’il ne souffre pas la mode qui trotte,
ayant la cervelle vieillotte et comme figée en les anciens usages. Au
demeurant, très honnête homme, quoique de son humeur assez escalabrous [29] pour parler son jargon occitan, et
fort courtois. » Je gage que Romorantin se força prou pour prononcer
l’« oi » de ce « courtois » et qu’il ne le fit que pour se
mettre à l’avance au diapason de son grand-oncle.
    Celui-ci me ravit dès que je jetai l’œil sur lui et plus
encore, lorsqu’il ouvrit la bouche. Il n’y avait pas que sa fraise qui fût
huguenote : il l’était de la tête aux pieds, étant droit comme un
« i », austère, mais toutefois bon vivant, la rigidité calviniste
étant corrigée chez lui, comme chez le Baron de Mespech, par l’amabilité
périgourdine et l’amour de la vie d’un gentilhomme ancré en son terroir. Il
était de sa membrature vigoureux et sans bedondaine aucune, la face ronde et
colorée, la barbe longue, l’œil aigu et gaillard sous ses épais sourcils,
ceux-ci aussi noirs que son cheveu était blanc. À ouïr que j’étais bien le
petit-fils du Baron de Mespech, il me donna une forte brassée et me baisa sur
les deux joues.
    — Votre grand-père, dit-il avec l’accent chantant de
Sarlat, est mon aîné de dix ans, mais se porte à merveille, sans infirmité
aucune, ni goutte, ni pierre, ni rhumatisme. On a cru le perdre il y a trois
mois d’une rétention d’urine, mais on l’a taillé fort adroitement, et il en a
réchappé. Il marche, monte à cheval, danse aux fêtes et je ne jurerais pas
qu’il ne coquelique encore avec quelque servante. En bref, il est fort vert, la
vue et l’oreille bonnes, l’esprit alerte et la parole

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