La Volte Des Vertugadins
pouvait avoir
d’un peu abrupt en me souriant avec affection et en laissant un moment dans la
mienne la main qu’elle tendit à mon baiser.
— Mon ami, dit-elle en donnant à cet « ami »
une inflexion tendre et en s’appuyant d’une façon marquée sur mon bras pour me
raccompagner jusqu’à son grand salon où elle devait me laisser comme chaque
fois aux soins de son maggiordomo, sachez attendre un peu et ne craignez
pas que j’abuse de la patience que je vous recommande. Je vous dirai un jour le
« parce que » qui répondra à votre « pourquoi ». Le moment
n’en est pas venu. J’ai besoin de réfléchir encore, n’étant pas assurée de voir
aussi clair en moi que je crois voir en vous.
Là-dessus, m’ayant rappelé que je devais revenir chez elle
le lundi suivant pour une leçon d’allemand où je montrerais, espérait-elle,
plus d’attention que ce jour d’hui (phrase qu’elle prononça avec un sourire en
me menaçant du doigt), elle me quitta. Pour moi, en montant dans mon coche de
louage, je me sentis perplexe, n’ayant pas de raison d’être déconfit, mais n’en
ayant pas davantage d’être triomphant. Madame de Lichtenberg en avait dit assez
pour me persuader qu’elle n’était pas insensible aux « sentiments
obligeants » que je lui témoignais, mais pas assez pour que je puisse
entendre les scrupules qui la retenaient, les problèmes qu’elle se posait, ni
leur lien avec Toinon.
Entre deux sommeils agités, j’y réfléchis toute la nuit,
balancé entre le chagrin que me donnait le départ de ma soubrette et l’espoir
encore bien incertain que les paroles de Madame de Lichtenberg avaient éveillé
en moi. Je rêvai aussi que je cherchais Toinon la nuit dans Paris de rue en
rue, sans la trouver, et je me réveillai en pleurs. Ces pleurs se tarirent,
mais ils furent suivis par une pensée plus désolante encore. J’avais vécu cinq
ans côte à côte avec Toinon sans me rendre compte à quel point sa présence
m’avait rendu heureux : et ce bonheur me paraissait deux fois perdu,
puisque je n’avais même pas eu conscience de sa présence quand il éclairait ma
vie.
*
* *
Bassompierre m’avait laissé devant mon logis le jeudi avant dîner,
et comme le samedi il n’avait pas reparu à la cour, mon père prit sur lui de
l’aller visiter avec moi en son hôtel, où nous eûmes quelque difficulté à
l’entrant, le maggiordomo nous disant son commandement de n’admettre
personne. Mais sur l’insistance de mon père, Bassompierre, prévenu de notre
présence, nous reçut, vêtu d’une robe de chambre fort belle et fort galonnée,
mais le visage non rasé et les traits quelque peu tirés.
— Ah ! mon ami ! dit-il quand on se fut
entr’embrassé, Pierre-Emmanuel a dû vous faire le conte de ce qui s’est passé
au Louvre. J’avais tout subi, tout souffert, mais, ajouta-t-il dans le style de L’Astrée, ce haussement d’épaules de la dame m’a percé jusques au fond
du cœur ! Il m’a fallu quitter la partie des trois dés sous le prétexte
qu’on vous a dit ! Et me réfugier au plus tôt dans ma maison, où je fus
ces deux jours écoulés à me tourmenter comme un possédé, sans manger, ni boire,
ni dormir ! Le résultat, vous le voyez, me voilà tout amaigri !
— À vrai dire, cela n’apparaît pas, dit mon père avec
un sourire. Et passe encore que le deuil de vos espoirs comporte le jeûne, mais
de grâce, buvez ! Buvez, à tout le moins de l’eau ! Ne point boire
serait fatal à votre santé !
— Le pensez-vous. Marquis ? dit Bassompierre d’un
air inquiet.
— Assurément, je vous parle en médecin. Et si vous me
permettez de vous parler en ami, il serait temps qu’on vous revoie au Louvre.
Sans cela le Roi va croire que vous le boudez, et il se pourrait qu’il se mette
à vous contrebouder, alors qu’il est si bien disposé à s’teure à votre endroit.
— L’est-il vraiment ? dit Bassompierre, son visage
s’éclairant.
— J’ai ouï dire que si Mademoiselle d’Aumale ne vous
agrée pas, il se propose de vous donner Mademoiselle de Chemillé en mariage et
de rétablir en votre faveur la terre de Beaupréau en duché et pairie.
— Ah ! dit Bassompierre noblement, si le Roi me
veut faire quelque bien, que ce ne soit pas par mariage, puisque par mariage il
m’a fait tant de mal !…
— Mon ami, dit mon père en souriant, c’est galamment
dit, mais est-ce là votre véritable raison pour
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