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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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s’en fut en courant,
claquant l’huis derrière elle. Et je restai là, cloué sur place, le nez sur
cette porte, mes pensées en pleine confusion. Une chose était claire au
moins : déjà je me languissais d’elle.
    J’allai m’étendre sur le lit, sans grand espoir de dormir,
malgré la lassitude de mon séjour au Louvre et le grand ébranlement où m’avait
jeté cette scène. Toutefois, je ne sais comment cela se fit, mais par degrés
insensibles et sans que j’en fusse conscient, je m’ensommeillai, et si
profondément que lorsque Franz me secoua pour me dire que mon père me voulait
voir dans la librairie, je croyais avoir dormi deux minutes et non deux heures,
comme il me l’apprit.
    Mon père se chauffait devant un bon feu et me fit signe de
prendre place dans une chaire à bras à ses côtés.
    — J’imagine, dit-il, que vous ne devez pas vous sentir
très heureux du départ de Toinon ? Bien que la chose m’eût paru couver
depuis quelque temps déjà, la promptitude de sa décision m’a surpris.
Visiblement, elle ne peut souffrir la pensée d’avoir une rivale.
    — Mais, dis-je après un temps d’hésitation, Madame de
Lichtenberg n’est pas une rivale pour elle.
    — Elle pense le contraire et à parler franc, je ne lui donne
pas tort. Madame de Lichtenberg vous eût déjà éconduit, si vos hommages
l’avaient fâchée. Or, elle n’est point de ces archicoquettes parisiennes,
sèches et sans cœur, qui font danser un homme comme une marionnette au bout
d’un fil pour contenter leur vanité. Ulrike est une Allemande sérieuse,
sensible, et qui se pose des problèmes. Vous lui en posez un, vu votre âge.
Mais il me paraît probable qu’elle ne saurait tarder à le résoudre.
    Ce discours me gêna tout en me comblant d’aise. Et je me
trouvai fort content que les bûches flambassent haut dans la cheminée :
elles me donnaient un prétexte pour fixer les yeux sur elles et éviter de
regarder mon père et d’être contreregardé par lui. Comme il se taisait et
paraissait attendre un commentaire, je craignis de m’appesantir sur les chances
dont son propos avait bercé mes espoirs, et je repris :
    — Qui eût cru que Toinon serait si entière et si haut à
la main ?
    — Mais elle le fut toujours ! dit-il. Avez-vous
oublié la façon dont elle s’est heurtée jadis à votre marraine, bec contre
bec ? Entre la Duchesse et la soubrette, il n’y a, croyez-moi, qu’une
différence de vêture : la première porte un vertugadin et la seconde, un
cotillon. Et c’est tout. Une femme est toujours une femme, Dieu merci.
    Ce « Dieu merci » me fit plaisir, car il me donna
à penser que mon père était heureux.
    — Estimez-vous, dis-je au bout d’un moment, que
j’aurais dû tenir mon rang davantage avec Toinon ?
    — Mais non ! dit-il avec un petit rire. Comment
pouvez-vous tenir votre rang avec quelqu’un que vous serrez dans vos bras tous
les jours que Dieu fait ?
    Je me fis la réflexion que ce Dieu-là, invoqué pour la
deuxième fois, n’était visiblement pas celui de l’abstinence, mais je me gardai
d’en rien dire.
    — Toinon, poursuivit-il, vous était plus attachée que
vous ne pensiez. Vous vous êtes montré fort gentil pour elle, ayant eu la
patience de lui apprendre à lire, à écrire, à compter. Elle vous en avait la
plus grande gratitude, sans le montrer jamais. Car elle était plus orgueilleuse
que pas une fille de bonne mère en France. Et maintenant, elle va mener son
Mérilhou tambour battant, tenir ses comptes, et prospérer grandement avec lui.
Une page est tournée, ce jour d’hui, dans votre vie, mon fils.
    « Oui-da ! pensai-je, elle est tournée, mais non
sans un petit pincement au cœur et un grand vide tout soudain dans mon
quotidien, lequel, rien que d’y penser, m’effraye d’avance. »
    Toutefois, quand le lendemain, à trois heures, j’allai voir
ma Gräfin, ce fut avec un espoir bondissant que je descendis du carrosse
de louage dans la cour de son hôtel, me promettant, fort des prophéties
conjuguées de Toinon et de mon père sur l’avenir de mon amour, de la regarder
avec un œil plus assuré. Mais à peine vint-elle à moi dans son grand salon, que
mon audace fondit. Bien qu’à la vérité, elle m’accueillit avec beaucoup de
gentillesse, je la vis si majestueuse, si réservée, si maîtresse d’elle-même,
qu’elle me parut tout soudain aussi inaccessible que je l’avais toujours
trouvée. Tandis que

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