Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
froideur. Je
ne crains pas cela.
    — Tu trouves donc, dis-je, quelque peu hérissé, que tu
en as bien agi avec moi en parlant à Son Altesse de ma maîtresse d’école et de
ma maîtresse tout court ?
    — Non, Monsieur, dit-elle avec fermeté, mais sans un
grain de repentance. J’ai, en effet, fort mal agi.
    — Et cependant, tu ne redoutes pas que je te
gourmande ?
    — Non, Monsieur.
    — Et pourquoi, s’il te plaît ?
    — Hélas ! Monsieur, nous n’en sommes plus
là : je vous quitte.
    — Tu me quittes ? dis-je, n’en croyant pas mes
oreilles. Et pour quoi faire ?
    — Monsieur, dit-elle, vous vous ressouvenez sans doute que
lorsque Monsieur le Marquis m’engagea aux gages de soixante livres par an, il
me promit de me donner une petite dot quand je voudrais quitter son service et
m’établir.
    — Et tu veux ce jour d’hui t’établir ? dis-je,
béant. Et comment ?
    — En me mariant.
    — Et avec qui ?
    — Avec le maître boulanger Mérilhou. Il est veuf depuis
un an, il a du goût pour ma personne et il m’a demandé ma main.
    — Assurément, dis-je, Mérilhou, si j’en crois Mariette,
a de bonnes qualités. Mais il n’est point trop jeune.
    Elle rougit à cela et ses yeux étincelèrent.
    — Monsieur, dit-elle d’une voix tremblante de colère,
est-ce bien à vous de me reprocher d’avoir de l’amitié pour quelqu’un qui a le
double de mon âge ?
    — Ah ! Toinon, voilà donc où le bât te
blesse ! Tu es dépite et furieuse de l’affection que j’éprouve pour ma
maîtresse d’allemand.
    — De l’affection ! dit-elle avec le dernier
dédain. Monsieur, allez-vous tourner chattemite ? Le vrai, c’est que vous
êtes amoureux par-dessus la bouche, le nez et les oreilles de cette dame-là !
Vous n’avez que son rauque patois à la bouche du matin au soir, et même en rêve
vous le marmonnez !
    — Je le marmonne en rêve ?
    — Oui-da ! Et même durant vos siestes, quand mes
caresses vous ont apazimé !
    — Mais Toinon, dis-je, si le sentiment que tu dis
existe entre cette dame et moi, en quoi t’offense-t-il, puisqu’il est
innocent ?
    — De grâce, Monsieur, ne m’en contez pas, dit Toinon
avec un air d’immense sagesse. Si la chose n’est point faite, elle se fera. La
dame est née dans la noblesse et elle n’est point de ces pauvrettes qui, comme
moi, se donnent à la franche marguerite. À ces colombes-là, il faut des
génuflexions, des baisemains, des compliments et des petits billets. Bref, des
formes et des rubans. Mais le reste viendra, j’en suis bien assurée.
    Et qu’elle m’en assurât au nom de son expérience me remplit
de joie en mon for, encore que je me donnasse beaucoup de peine pour cacher les
ailes que Toinon venait de donner à mes plus chers espoirs.
    — Toinon, dis-je en me promenant de long en large dans
la pièce et en me rapprochant d’elle insensiblement (car j’ai quasiment honte
de l’avouer, le désir me tenaillait de la prendre dans mes bras, si énamouré
que je fusse de ma Gräfin ), Toinon, je le répète, en quoi ce
sentiment-là t’offense ?
    — Monsieur, dit-elle, ne pouvez-vous entendre que
j’aurais voulu vivre non point dans les faubourgs de votre bon plaisir, mais
dans la ville même et dans vos rêves aussi, puisque vous me vouliez dans vos
bras ?
    C’était bien dit, et si fièrement que je m’arrêtai net en ma
sournoise approche. J’avais eu depuis cinq ans avec Toinon un commerce auquel
je trouvais le plus grand agrément, mais qui me paraissait aller tellement de
soi que je ne m’étais jamais demandé comment elle le considérait. Eh bien, je
savais, maintenant, ce qu’elle en pensait : le jour où je l’allais perdre.
    — Toinon, dis-je, la gorge me serrant quasi à
m’étouffer, cela veut-il dire que nos siestes sont finies ?
    — Assurément, Monsieur, dit-elle d’une voix sans
timbre. Elles sont finies. J’ai donné ma foi à Maître Mérilhou, et je la veux
garder.
    Je la considérai, stupéfait. Elle se tenait fort raide, mais
deux larmes coulaient sur ses joues. Je n’eus pas le temps de me demander si je
faisais bien ou mal : je me jetai sur elle et la pris dans mes bras. Elle
me laissa faire, et comme elle me refusait sa bouche, je la baisai dans le cou.
Ce fut bien pis : il était si douillet, et j’y avais si souvent posé les
lèvres depuis cinq ans.
    — Ah ! Monsieur, me dit-elle, vous pleurez
aussi !
    Et s’arrachant de mes bras, elle

Weitere Kostenlose Bücher