La Volte Des Vertugadins
n’aime ni son poil, ni ses yeux.
Et je le cuide fol coma la luna de mars [64] .
— Vramy, dit un petit garde qui avait l’œil
pétillant et futé, n’a-t-il pas déjà sur la tête un chapeau vert ? Quand
même, c’est pitié que sa cervelle trébuche ! Autrement, fort qu’il est
comme un bœuf, on en ferait un beau soldat.
— Vous a-t-il parlé ? dit Castelnau.
— Oui-da, dit Dalbavie. Il a la parladure facile. M’est
avis que si vous le mettiez dans une soutane, il vous dégoiserait un prêche
tout aussi bien qu’un autre.
— Que vous a-t-il dit ?
— À moi rien, dit Dalbavie, mais il a parlé à Cadejac.
C’était le garde aux yeux rieurs et dès que Castelnau lui
adressa la parole, ses yeux rirent de plus belle.
— Il m’a demandé s’il était constant que le Roi allait
faire la guerre au Pape.
— Et que lui as-tu répondu ?
— Qu’il y avait longtemps que le Roi ne m’avait convié
à sa table pour me confier ses projets, mais que s’il avait le projet qu’il
disait, je lui donnerais bien volontiers un coup de main.
Cadejac rit le premier au souvenir de cette petite gausserie
et les gardes l’imitèrent.
— Et qu’a-t-il répondu ?
— Jour de Dieu ! Il n’a pas pris l’affaire en
riant ! Il m’a jeté un regard à geler la Seine en été et a grondé entre
ses dents : « Blasphème ! Blasphème ! Faire la guerre au
Pape, c’est la faire à Dieu ! Car le Pape est Dieu et Dieu est le
Pape ! »
— Et à cela qu’as-tu répliqué ?
— Ma fé, que j’ai dit, si c’est la même personne,
pourquoi sont-ils deux ?
Mais je vis bien que cette gausserie-là ne plaisait qu’à demi
à Castelnau, pour ce qu’elle ne témoignait pas assez de révérence à l’égard du
Créateur. Dalbavie le sentit aussi car il dit, croyant arranger les
choses :
— Justement, Monsieur le lieutenant, c’est bien ce qui
m’a fait penser que le drole était fol coma la luna de mars, vu que
confondre le Pape et Dieu, c’est quasiment confondre Monsieur votre père et
vous-même.
Cela me fit sourire, mais non Castelnau qui, fichant ses
yeux noirs sur le rouquin géantin qui le considérait de loin, les deux poings
sur les hanches, lui fit signe d’approcher. Le rouquin se mit en branle d’un
pas résolu et sans la moindre appréhension.
— Demeurez devant le guichet, dit Castelnau aux gardes.
Quand l’homme fut à cinq pas de lui, Castelnau l’interpella
d’une voix forte :
— Halte ! Que voulez-vous ? Pourquoi
demandez-vous l’entrant ?
— Pour voir le Roi, Monsieur. J’ai à lui parler.
— Que lui direz-vous ?
— Je ne le dirai qu’à lui, dit l’homme.
Il s’était exprimé avec assez de calme et sa façon de parler
n’était pas celle d’un ignare.
— Vous devez entendre, dit Castelnau d’un ton poli, que
le Roi ne peut donner audience à tous ses sujets. Il en a trop.
— Monsieur, dit l’homme en s’exaltant tout soudain et
ses yeux bleus jetant des flammes, je vous supplie au nom de Notre-Seigneur
Jésus-Christ et de la Vierge Marie, que je voie le Roi !
Je me fis cette réflexion que supplier un huguenot au nom de
la Vierge Marie n’était peut-être pas la meilleure façon de faire aboutir la
supplique. Toutefois, Castelnau ne se départit pas de son ton calme et poli.
— Je vais quérir le capitaine. Lui seul peut vous mener
au Roi, s’il le juge bon.
Et s’adressant aux gardes gascons, il leur dit à
mi-voix :
— Mefia-te. Diu te garde d’aquel qu’a
lo pial roje [65] .
Je ne pense pas que Castelnau eût une quelconque aversion
envers les rouquins : c’était là une façon indirecte de mettre les gardes
en alerte. De reste, dès qu’ayant franchi le guichet du Louvre d’un pas rapide,
il fut entré dans le Louvre, Dalbavie fit signe aux soldats qui se trouvaient
là au nombre d’une demi-douzaine, lesquels sans piper, ni faire mine ni
semblant, entourèrent le quidam. Le sergent pensait sans doute que l’homme
pourrait tenter de forcer l’entrant et que, dans ce cas, ils ne seraient pas
trop de six pour se saisir de lui.
Celui-ci me parut ne craindre point, et se soucier moins
encore, d’être ainsi entouré. Dominant d’une bonne tête les gardes gascons, il
se tenait campé sur ses deux jambes, la tête haute et les bras ballants. Sa
carrure annonçait beaucoup de vigueur. Fort brillants dans le poil rouge qui
couvrait son visage, ses yeux bleus avaient une façon de se
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