La Volte Des Vertugadins
pour lors, celui de ses armées. Celles-là, il les savait
prêtes.
Madame de Guise, après la joute de gaillardies qu’elle
venait de soutenir avec lui, redemanda son congé à Henri qui voulut bien, cette
fois, quoique à regret, le lui donner. Mais il me garda auprès de lui puis, au
bout d’un moment, ne sachant que faire de moi, il déclara qu’il allait s’ensommeiller,
m’embrassa, gagna sa chambre et me commanda d’aller voir le Dauphin. Je le
regardai s’éloigner de son pas vif, la tête penchée en avant. Ce fut la
dernière fois que je le vis vivant. Peu après, ne pouvant trouver le sommeil,
Henri pensa que l’air lui ferait du bien et il ordonna son carrosse.
Je ne pus voir de prime le Dauphin, car il était à ses
dessins, mais fus fort bien accueilli par le docteur Héroard et Monsieur de
Souvré qui, de tout le temps que je fus avec eux, ne parlèrent que de Louis. Héroard
me conta comment Henri, quelques mois plus tôt, avait taquiné le Dauphin en
disant :
« Je prie Dieu que d’ici à vingt ans, je vous puisse
encore donner le fouet ! » À quoi le Dauphin répondit :
« Pas, s’il vous plaît ! – Comment, repartit le Roi, vous ne
voudriez pas que je vous le puisse donner ? – Pas, s’il vous
plaît ! » répondit Louis.
— N’est-ce pas étrange, reprit Monsieur de Souvré. Un
enfant n’imagine pas qu’il puisse cesser d’être un enfant. Louis n’a pas pensé
un seul instant que dans vingt ans, il aurait vingt-huit ans, et qu’à cet âge,
il y aurait beau temps qu’il ne serait plus fouetté.
Je trouvai, pour ma part, plus étrange encore la question du
Roi, à tout le moins posée sous cette forme. Mais je me gardai d’en rien dire.
Quant à Héroard, je l’avais déjà observé : s’il aimait raconter des
anecdotes à propos du Dauphin, il ne les commentait jamais. Huguenot, et
n’étant pas sans ennemi à la cour, en particulier dans l’entourage de la Reine,
il se montrait fort prudent en ses paroles et en son attitude, allant même
jusqu’à dissimuler la grande amour qu’il portait à Louis.
Le petit chien Vaillant entra le premier dans la pièce et me
fit fête, preuve qu’il se ressouvenait que je lui avais dit si poliment adieu.
Et le Dauphin, apparaissant derrière lui, me sauta au cou, et pria Monsieur de
Souvré de m’emmener en promenade, laquelle je pensais se devoir faire à pied au
jardin, ce qui, par la chaleur extrême qui régnait en ce mai, ne me paraissait
pas si plaisant. Mais en réalité, il ne s’agissait que d’aller de par la ville
en carrosse pour admirer les arcs de triomphe que les charpentiers achevaient
de dresser sur le parcours que devait le lendemain emprunter la Reine en son
entrée triomphale. Ces arcs, à ce qu’on disait, ne laissaient pas d’être très
élaborés et les jardiniers les décoraient de feuillages et de fleurs.
Dans le carrosse, Monsieur de Souvré fut assez bon pour me
faire asseoir à côté du Dauphin et s’assit lui-même en face de nous, le docteur
Héroard à côté de lui. Sur le commandement qu’on lui fit, le cocher prit par la
rue des Poullies, puis tourna à droite dans la grand’rue Saint-Honoré, et se
dirigea vers la Croix du Tiroy. Sans le savoir, nous prenions le même chemin
que le carrosse du Roi avait pris quelques minutes plus tôt. Je ne saurais
préciser l’heure qu’il était, n’ayant pas sur moi ma montre-horloge. De reste,
l’eussé-je eue que je n’aurais jamais osé la tirer en présence du Dauphin.
Le carrosse allait fort lentement en raison du grand
mouvement de charrois qui se faisait à cette heure et aussi de la grande
quantité de peuple qui se trouvait de par les rues à admirer les arcs de
triomphe dont nous vîmes trois : celui de la rue des Poullies, celui de la
grand’rue Saint-Honoré et celui de la Croix du Tiroy. Mais celui-là, qui était
le plus grand, nous n’eûmes guère le loisir de l’admirer, bien que le Dauphin
eût demandé à Monsieur de Souvré d’arrêter le carrosse afin d’en discerner
mieux les détails. Car au moment où le cocher bridait les chevaux, je vis
accourir à toutes jambes vers nous un page aux couleurs de la Reine. Le docteur
Héroard l’ayant aperçu aussi se pencha au-dehors, ce qu’il fit sans bouger de
sa place, les mantelets de cuir du carrosse ayant été relevés en raison de la
chaleur. Mais le page, qui sans doute ne voulait pas crier son message en
pleine rue, mit un pied sur un des rayons
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