La Volte Des Vertugadins
distinguer en elle un charme puéril.
Mais dès qu’elle ouvrait la bouche et vous regardait, tout l’art féminin de la
séduction était là, jusqu’à jouer de sa fraîcheur même et à contrefaire
l’enfant qu’elle n’était plus. Je ne me fis que plus tard la réflexion qu’on
vient de lire. Sur l’instant, ma cervelle était paralysée. Je n’étais que
regards.
En présence de son père et du mien, Charlotte s’enveloppa,
sous mes yeux, de la plus couventine pudeur, l’œil baissé et la joue
rosissante. Mais dès que Monsieur de Réchignevoisin eut annoncé une volte et que nos pères se furent éloignés, un petit démon se mit à danser dans ses
yeux bleus.
— Chevalier, chuchota-t-elle, savez-vous bien danser la volte ?
— Passablement bien.
— Et pourrez-vous bien me soulever dans les airs ?
— Assurément.
— Haut assez ?
— Mais point trop, dis-je, afin que la pudeur n’en soit
pas offensée.
— Comment cela ? dit-elle en ouvrant de grands
yeux.
— Mon maître à danser tient qu’on ne doit point tant
faire sauter la dame qu’on puisse voir son genou et sa cuisse. Cela, dit-il,
convient peut-être aux chambrières, mais non aux personnes de bon et pudique
jugement.
— Sans doute a-t-il raison, dit Charlotte de l’air le
plus chattemite. Toutefois…
— Toutefois, Madame ?
— Je vous adresserais bien une petite prière, si vous
me juriez le secret sur ma requête.
— Je l’agrée, quelle qu’elle soit.
— Et me promettez-vous, sur votre honneur de
gentilhomme, de la tenir secrète ?
— Je le jure.
— Et de m’obéir ? dit-elle de l’air le plus
caressant.
— Je le jure, dis-je, déjà tout à elle.
— Eh bien, je voudrais que vous me fassiez sauter dans
les airs aussi haut que vous pourrez.
— Mais Madame, dis-je, béant, cela serait braver
l’honnêteté ! J’en serais fort blâmé au nom des convenances et d’abord par
Madame de Guise !
— Ne pouvez-vous pas souffrir d’être un peu blâmé pour
l’amour de moi ? dit-elle avec un sourire enchanteur, et posant sa main
sur la mienne, elle y promena ses doigts légers.
Je frémis à ce contact.
— De reste, reprit-elle, on mettra cette imprudence sur
le compte de vos jeunes ans et des miens. Deux enfants ne peuvent-ils s’ébaudir
ensemble plus folâtrement que de grandes personnes ? Est-ce que cela tire
à conséquence quand on a quatorze ans ? Ne peut-on être un peu bien fripon
à notre âge ?
Comment aurais-je pu résister à cette sirène qui, tout en me
caressant la main et en m’assassinant des plus douces œillades, fiançait si
joliment nos âges et m’invitait, en toute innocence, à des jeux espiègles.
Pourtant, un je ne sais quel bastion dans mon esprit
résistait encore. Il n’était ni tout à fait dupe, ni tout à fait convaincu,
mais cette garcelette me troublait trop pour que je puisse lui résister. En
outre, en me faisant jurer d’avance, et le secret et l’obéissance, elle avait
mobilisé contre moi mon honneur et utilisé ma force pour me rendre plus faible.
Vramy ! Quand je pense qu’elle n’avait alors que quatorze ans ! Je
m’en rends bien compte à ce jour, à me comparer à elle je n’étais alors, malgré
mes livres, qu’un nouveau-né à la mamelle.
Pour l’édification de mes arrière-neveux – car il est
possible qu’en leur siècle, on ne dansera plus la volte, les dévots qui
la tiennent pour « lascive et déshontée » ayant réussi d’ici-là,
peut-être, à la faire interdire – je voudrais expliquer que le « scandaleux »
de cette danse aux yeux de la bigoterie présente trois aspects dont un seul
serait déjà damnable.
D’abord, on tient sa cavalière non pas par la main, mais par
la taille, les deux mains appliquées sur ses flancs : geste quasi
possessif, on en conviendra et d’autant plus que la cavalière, loin de s’en
défendre, pose nonchalamment sa main droite sur l’épaule gauche de son
vis-à-vis. Ensuite, on la fait tourner sans arrêt, tantôt de gauche à droite et
tantôt de droite à gauche en l’emportant dans un tourbillon qui, en produisant
en elle un état vertigineux, ne fait qu’affaiblir plus avant ses défenses. Sa
complicité tacite étant enfin acquise par le moyen de ce tournoiement effréné,
on la soulève dans les airs : simulacre d’enlèvement et de rapt, auquel
elle n’est pas sans se prêter car, pour aider à ce saut, sa main
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