La Volte Des Vertugadins
et
l’œil ingénu. C’est cette ingénuité qui ne me plaisait pas.
De reste, elle n’était pas seule. Mon demi-frère, le
sémillant archevêque de Guise, qui ne pouvait danser en raison de sa robe
violette, s’en revanchait en parlant de fort près à la dame : attitude
qui, à ce que je vis en regardant à la ronde, déplaisait fort à trois
personnes : au Roi ; à Madame de Guise qui ne pouvait toutefois
intervenir, un gentilhomme fort chamarré lui tenant des discours ; et
enfin au capitaine de Vitry, trop bon soldat pour oser conter fleurette à une
personne aimée du Roi, mais trop épris d’elle pour ne pas laisser à ses regards
la liberté de se repaître – très à la prudence – de sa beauté
piquante.
Comme nos souvenirs changent avec les années !
Lorsqu’ils sortent de la nuit du passé, le présent leur donne une signification
bien différente de celle qu’ils avaient au moment où nous les avons vécus. Sur
l’instant, ce qui retint surtout mon attention, ce n’est point tant que Concini
s’entretînt avec Vitry, quoiqu’ils fussent si différents, mais bien les regards
dérobés que Vitry lançait à Charlotte des Essarts, l’indifférence avec laquelle
elle les recevait, l’empressement auprès d’elle de l’archevêque et le déplaisir
qu’il provoquait chez les personnes qui, à des titres divers, s’intéressaient à
elle.
Cependant, à l’heure où j’écris ces lignes, après avoir
essayé de rétablir dans ses couleurs de l’époque ce petit manège de l’amour et
de la jalousie – comme il y en eut beaucoup, assurément, dans cette nuit
de bal – ce qui me frappe, c’est ce que j’ai négligé alors : cet
entretien de Concini avec Vitry, ce contraste entre l’honnête centurion et le
courtisan corrompu, cette rencontre qui ne prit toute sa signification
dramatique que dix ans plus tard – quand le fils de l’un tua l’autre.
Mon père m’avait quitté sur un signe de Madame de Guise qui
l’appelait à sa rescousse – sans doute pour qu’il la débarrassât du
personnage vieil et chamarré qui l’accaparait et l’empêchait d’aller retirer
l’archevêque du piège de chair où il s’engluait. Mais mon père ne put lui-même
atteindre tout aussitôt ma bonne marraine, parce qu’une dame fort richement
vêtue le happa au passage et se mit à lui faire mille grâces : spectacle
qui ne manqua pas d’ajouter aux angoisses de la Duchesse. Toutefois, mon père
réussissant, après quelques minutes, à se retirer des hameçons de la belle,
louvoya dans la foule jusqu’à ce qu’il parvînt à se mettre au bord à bord de ma
marraine. Prenant alors le relais, il fit tant de civilités au barbon chamarré
que la Duchesse put doucement se retirer de son grappin et courir tancer
l’archevêque. Mon père me fit alors signe des yeux de le venir rejoindre, ce
que, à mon tour, je ne pus faire aussitôt car, me mettant en branle, je vis se
dresser devant moi Joinville et Bassompierre qui, tout sourires, me mirent
chacun une main sur l’épaule.
— Or çà, mon mignon ! dit Bassompierre. Où
courez-vous si vite ? Nous avons grand besoin de vous pour arbitre, car
nous allons gager.
— Quoi ? Encore ! Et quelle est la
gageure ?
— Laquelle des deux favorites, la Comtesse de Moret ou
Charlotte des Essarts, le Roi va-t-il inviter pour la volte que
Réchignevoisin va annoncer ?
— Et comment savez-vous que ce sera une volte ?
— Le capitaine de Praslin, dit Bassompierre,
vient tout juste de me dire à l’oreille de la part du Roi d’avoir à inviter la
Reine pour la volte, vu qu’à moi elle n’osera refuser cet honneur.
— Et pourquoi donc ? dis-je, béant.
— Pour la raison, dit le Prince de Joinville, que ce
rusé Allemand a la bonne grâce de perdre au jeu, quand il joue à la prime avec
elle.
— J’y ai quelque mérite, dit Bassompierre en baissant
la voix. Ce n’est pas facile de perdre avec Sa Gracieuse Majesté : elle
joue si mal. Et plus difficile encore de la soulever dans les airs, quand on
danse avec elle la volte.
— Toutefois, vous le ferez, dit Joinville.
— Toutefois, je le ferai, étant bon paroissien.
— Si j’entends bien, dis-je, vous pensez tous deux que
Bassompierre dansant la volte avec la Reine, le Roi va inviter une des
deux favorites ?
— Cela ne saurait manquer, dit Joinville, et je gage
que ce sera la Comtesse de Moret.
— Je gage que ce sera Charlotte des
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