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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Essarts, dit
Bassompierre, imperturbable.
    — Quel est l’enjeu ?
    — Cent livres, dit Bassompierre.
    — Messieurs, dis-je en les saluant, topez, je suis
votre arbitre. L’enjeu sera payé au gagnant en ma présence après la volte.
    Et m’excusant de ce que mon père m’appelait, je les saluai
derechef et les quittai sans tant languir, bien convaincu que des deux
Bassompierre avait le nez le plus fin et qu’il gagnerait sa gageure, la
fleurette que contait l’archevêque à Charlotte inquiétant moins le Roi que le
siège de la Moret par Joinville. L’archevêque se trouvait retenu par sa robe et
bridé par sa mère. Mais d’après ce que j’avais pu entendre des propos de
Bassompierre, il n’était même pas sûr que Joinville ne fût déjà dans la place.
En ce cas, Henri ne pouvait que garder une fort mauvaise dent à la Moret de
s’être laissé investir et la voudrait punir en dansant d’abord avec Charlotte.
Je me ressouviens que dans ma juvénile gloriole, je me paonnais fort du savant
résultat de mes observations. Le mérite, pourtant, était mince. J’avais bien écouté
ce qu’on avait dit devant moi mais, perché sur mon petit savoir, je me croyais
déjà tout chargé d’expérience.
    Dès que mon père me vit à ses côtés, il demanda à son
interlocuteur chamarré la permission de me présenter à lui et, sur son gracieux
assentiment, il lui fit un salut et dit avec beaucoup de respect :
    — Monsieur le Connétable, je me tiens pour heureux de
pouvoir vous présenter mon fils, le Chevalier de Siorac.
    « Eh quoi ! pensai-je en me génuflexant, est-ce là
ce fameux Duc de Montmorency à qui ses hautes fonctions donnent tant de pouvoir
dans l’État que le Roi en est jaloux et n’attend que la mort de l’intéressé
pour supprimer sa charge ? »
    Par une curieuse coïncidence, j’avais lu, le matin même dans
le sixième tome des Mémoires de mon père, le passage où il parle du bal que le
Maréchal de Biron donna en 1597 en l’honneur de l’enfantelet qui était né deux
ans plus tôt à la Duchesse de Montmorency et que le Roi avait tenu, quelques
jours auparavant, sur les fonts baptismaux.
    Ce sixième tome dont je parle était bien loin, alors, d’être
achevé et mon père n’en écrivit la dernière page que le 4 mai 1610. Mais,
ayant décidé, de longue date, que ses souvenirs ne seraient publiés que
cinquante ans après sa mort – à une époque où tous les personnages qui y
étaient nommés auraient, en toute probabilité, disparu de cette terre –,
il avait pris l’habitude d’en communiquer les chapitres manuscrits au fur et à
mesure qu’il les écrivait, à deux personnes : au Chevalier de La Surie,
pour qu’il en corrigeât, le cas échéant, quelques détails, et à moi-même, pour
me préparer à vivre un jour à la cour, n’ignorant rien des mœurs de notre
temps.
    De la jeune Duchesse de Montmorency, née Louise de Budos,
mon père écrit dans ces pages qu’elle était une des plus belles dames de la
cour. Et il ajoute que, si Biron donna ce bal en l’honneur d’un enfantelet dont
il se souciait comme d’une guigne, c’est qu’il guignait la mère, étant fort
épris d’elle, jugeant ses chances grandes, vu l’âge du Connétable qui avait
passé soixante ans, mais toutefois robuste et vert assez pour faire deux
enfants à sa jeune épouse : Charlotte, en 1593 et Henri, en 1595.
    « Je ne sais, me dit mon père de vive voix, si Biron
faillit ou non dans son entreprise, mais s’il n’y faillit pas, il jouit peu de
son succès, car au lendemain du bal, il partit avec Henri reconquérir Amiens,
et la jeune duchesse mourut un an plus tard en la fleur de son âge, d’une
étrange et subite maladie qui la laissa défigurée comme si l’ange de la mort,
en lui ôtant la vie, avait résolu de la priver d’abord de sa beauté. »
    Au moment du bal de Madame de Guise, le Connétable de
Montmorency comptait soixante-treize années, lesquelles, malgré leur nombre, ne
pesaient guère sur ses larges épaules. Il était grand, avec un visage carré et
coloré et des yeux qui n’exprimaient rien. Mon père à qui je demandai, des
années plus tard, si le Connétable avait de l’esprit, me répondit en
souriant : « C’est ce qu’on n’a jamais pu savoir. C’était assurément
un bon soldat et, sous les murs d’Amiens, la veille de l’attaque du cardinal
Albert, je lui ai entendu tenir des propos sensés sur son métier. Il

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