La Volte Des Vertugadins
connivents.
— Madame, dit la voix de mon père derrière moi, je suis
au désespoir de vous enlever un de vos adorateurs, alors que je n’aurais rien de
plus cher que de me joindre à eux, mais la chose ne souffre pas délai. Le Roi
l’ordonne.
Je me relevai plus mort que vif à cette annonce et une fois
debout, je m’aperçus que Joinville m’avait imité, pâle, défait et regardant mon
père avec des yeux où se lisait la plus vive anxiété.
— Est-ce à moi, balbutia-t-il, que le Roi a
affaire ?
— Non point, Monsieur. À mon fils.
Joinville poussa un grand soupir de soulagement et
Bassompierre, se relevant à son tour, passa la main par-dessus son épaule et le
serra contre lui. La Princesse de Conti se mit alors debout et bien que je
fusse tremblant et Joinville, encore fort troublé, je crois bien me ressouvenir
qu’elle marqua quelque dépit à avoir perdu d’un seul coup ses fidèles
agenouillés et dit non sans aigreur à son frère :
— Vous ne perdez rien pour attendre. Qui sème le vent
récolte la tempête.
Cette remarque, qui était pour le moins inutile, dut
déplaire à mon père car lui, qui était d’ordinaire si louangeur avec les dames,
salua avec respect la Princesse, mais sans un mot, et m’entraîna par le bras,
longeant les murs pour ne pas gêner la danse.
— Le Roi va-t-il me gourmander pour cette volte ? dis-je à son oreille.
— Mais non, rassurez-vous, il n’a fait qu’en rire.
« Bon sang ne saurait mentir », a-t-il remarqué en gaussant.
« Et des deux côtés. »
— Que voulait-il dire par ces « deux
côtés » ?
— Que vous êtes Siorac et Bourbon, et par conséquent
deux fois ami des femmes.
— C’est fort gracieux de sa part. Mais alors, que me
veut-il ?
— Que je vous présente à lui et à la Reine.
— Est-ce à dire qu’il m’admet à sa cour ?
— Oui. Ce jour d’hui, vous allez entrer dans l’arène.
Vous y trouverez des gladiateurs, des ours, des lions, des chacals et aussi de
doux monstres à tête de femme qui ne sont pas les moins terribles. Vous devrez
vivre avec adresse : vos erreurs seront punies et parfois aussi vos
qualités.
Bien qu’elles fussent dites avec un sourire, il y avait dans
ces paroles tout ensemble un défi et une invitation à le relever. Mon trouble
disparut, je regardai mon père et je lui souris avec confiance.
— Nous devons attendre, dit-il en s’arrêtant, que la
musique se taise.
— Je ne vois pas le Roi.
— Il danse avec votre marraine.
— Quoi ? Avant d’inviter la Moret ?
— C’est qu’il est furieux contre elle, dit-il à mon
oreille. Elle aurait cédé à Joinville contre une promesse écrite de mariage.
— Une promesse écrite ? dis-je sur le même ton.
Joinville est un grand fol.
— Mon Pierre, dit mon père, ne jugez pas du haut de
votre jeune sagesse. Oui sait quelles sottises les belles vous feront
commettre ! Il y a plus d’une Charlotte dans ce monde-ci.
Il accompagna ces mots d’un petit sourire qui en émoussait
la pointe. Et pour moi je les rangeai dans la gibecière de ma mémoire pour les
méditer à l’occasion et ne plus, à l’avenir, engager trop facilement ma parole.
Pauvre Joinville ! J’eus des remords de l’avoir traité de fou, lui que le
Roi allait sans doute envoyer en exil en son governorat de Saint-Dizier, ce
qui, disait-il, serait « sa mort ».
Les violons se turent, les couples se défirent à l’exception
du Roi et de Madame de Guise qui restèrent à s’entretenir au milieu de la
grand’salle, attirant sur eux tous les yeux. Cette curiosité fut plus que
satisfaite car, à défaut d’ouïr ce que disait Henri, on le vit tirer de
l’emmanchure de son pourpoint un petit sac de velours qu’il tendit à la
Duchesse comme s’il lui en faisait présent. Elle ouvrit le sac avec
empressement et en tira un objet clair et brillant de la grosseur d’un grain de
raisin qu’elle tint entre le pouce et l’index de la main droite. Riant aux
anges, elle éleva sa dextre haut dans les airs et pivotant deux fois sur
elle-même, elle le montra à l’assistance qui se mit à applaudir et à bruire
d’exclamations. Madame de Guise, rouge d’émotion, remit la pierre dans le sac
et le sac dans une poche de son vertugadin, puis avec sa pétulance habituelle,
elle sauta au cou d’Henri qui, sous le choc, recula d’un pas, ce qui fit rire.
Il rit aussi et donna à sa cousine une forte brassée. Après quoi, elle
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