Labyrinthe
Will.
Cette fois, je ne vous laisserai pas lui faire du mal.
Il finit par détourner la tête. Il marqua un temps d'arrêt en découvrant les trois livres disposés sur l'autel – était-il soulagé ou étonné, Alice ne le sut pas –, puis il dévisagea sa mère.
Malgré la distance, Alice sentit la tension qui régnait entre la mère et le fils.
L'ombre d'un sourire passa sur le visage de Marie-Cécile quand elle descendit vers l'autel, le coutelas et le bol entre les mains. Elle traversa la salle. Sa robe chatoya d'un éclat lunaire à la lueur des chandelles, tandis qu'elle avançait. Alice perçut la subtile fragrance qu'elle laissait dans son sillage, parmi les odeurs entêtantes et douceâtres d'huile en train de se consumer.
François-Baptiste bougea lui aussi. Il descendit les marches et se plaça derrière Will. Marie-Cécile s'arrêta devant son fils et lui murmura des paroles d'une voix trop basse pour qu'Alice en saisît le sens. Même s'il conserva son sourire, elle vit clairement une ombre de colère passer sur le visage du jeune homme, lorsqu'il prit les bras liés de sa victime pour les tendre à sa mère.
Elle défaillit presque en voyant Marie-Cécile inciser l'avant-bras de Will qui laissa échapper un gémissement mais ne souffla mot.
Marie-Cécile leva la coupe pour recueillir cinq gouttes de sang.
Après avoir effectué la même opération avec Baillard, la navigatairé , s'immobilisa devant Alice. Cette dernière la vit jubiler, tandis qu'elle suivait l'intérieur de son avant-bras de la pointe de son couteau, le long de son ancienne blessure, avant d'y planter avec une précision chirurgicale la pointe du coutelas, jusqu'à rouvrir entièrement la plaie.
La douleur la prit de court – sourde et non aiguë. D'abord, une bouffée de chaleur s'empara de son corps, puis une sensation de froid la paralysa. Fascinée, elle regardait les gouttes de sang tomber une à une dans l'étrange mixture du bol.
Tout fut bientôt terminé. François-Baptiste lui relâcha le bras et suivit sa mère jusqu'à l'autel. Après avoir répété les mêmes gestes avec son fils, la navigatairé se plaça entre l'autel et le labyrinthe.
Le bol déposé sur la dalle de pierre, elle s'incisa le bras à l'aide du coutelas et observa les gouttes de sang requises tomber dans le récipient.
Le mélange des sangs.
Alice comprit en un éclair. Le Graal appartenait à toutes les croyances et à aucune. Chrétiens, juifs, musulmans. Cinq gardiens choisis pour leur personnalité et leurs actes, non pour leur sang. Tous égaux.
Elle vit Marie-Cécile ouvrit les livres et en tirer tour à tour un feuillet. Elle leva le troisième, qui n'était pas une simple feuille de parchemin, mais un papyrus. Alors que la prêtresse le portait à la lumière, la croix égyptienne apparut à travers la trame.
L'ankh, symbole de vie.
Marie-Cécile prit le bol et le porta à ses lèvres. Une fois qu'il fut vide, elle le reposa à deux mains et parcourut la chambre du regard jusqu'à ce qu'il rencontrât celui de Baillard. Alice eut l'impression qu'elle le défiait d'interrompre la cérémonie.
Retirant l'anneau de son pouce, elle se retourna vers le labyrinthe de pierre. Dans le frémissement de la flamme, Alice discerna à travers l'ombre de la paroi sculptée deux formes qu'elle n'avait jamais vues auparavant.
Dissimulée dans les méandres du labyrinthe, l'ombre de l'ankh et d'une coupe apparut clairement.
Alice entendit un déclic, comme une clé tournant dans une serrure. Un court instant, rien ne se passa puis, le frottement d'une pierre contre une autre pierre s'éleva des profondeurs de la paroi.
Marie-Cécile recula. Alice se rendit compte qu'au centre du labyrinthe une ouverture à peine plus grande que les livres venait d'apparaître. Un compartiment secret.
Des mots, des phrases jaillirent dans sa mémoire, composés de ses propres découvertes et des enseignements prodigués par Baillard.
Au centre du labyrinthe est l'Illumination. Au centre du labyrinthe réside l'entendement. Alice se prit à songer aux pèlerins chrétiens sur le Chemin de Jérusalem , dans la nef de la cathédrale de Chartres, suivant les spirales décroissantes du labyrinthe pour y trouver l'illumination.
Ici, dans le labyrinthe du Graal, la lumière dans toute son acception se trouvait au cœur des choses.
Alice regarda Marie-Cécile de l'Oradore s'emparer d'une lanterne posée sur la dalle de l'autel et la suspendre à l'intérieur.
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