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Lacrimae

Titel: Lacrimae Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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encore. En larmes, affirmant qu’elle ne resterait plus dans la demeure de son pauvre maître assassiné de si horrible manière, elle avait quitté son service. Elle avait expliqué qu’un minuscule héritage, ajouté à ses maigres économies, lui permettrait de survivre. Toutefois, elle s’interrogeait. Entre ses petits larcins de rubans et autres babioles et son gros vol, elle avait amassé une bourse joliette. Elle pouvait en vivre, certes pas en bourgeoise, mais en modeste commerçante retirée des affaires dans une autre ville où nul ne la connaîtrait. Si elle demeurait à Tiron ou même à Saint-Denis-d’Authou, très proche, il lui faudrait toujours être prudente, ne jamais laisser soupçonner qu’elle possédait plus de bien qu’elle ne l’avouait. Nul ne croirait qu’elle ait pu économiser une telle somme au service du mercier. Cependant, Agnès Grosjean n’était plus dans sa prime jeunesse, loin s’en fallait. Aussi la perspective d’abandonner sa bourgade, de s’installer ailleurs, où elle ne connaîtrait personne, l’effrayait un peu.
    — Fort juste, reprit Sylvestre avec lenteur. Mais ça r’montera jusqu’au bailli. (Une lueur futée éclaira son visage.) C’est not’ devoir de bons chrétiens de prévenir qu’un horrible assassin a déjà frappé deux fois et qu’l’envie de r’commencer pourrait l’démanger à nouveau. De quec’ façon, on deviendrait complices. D’autant que… tout c’qui peut aigrir la bile de c’seigneur abbé nous est plutôt distrayant.
    Des rires et des applaudissements saluèrent cette sortie. Il se rengorgea et poursuivit :
    — J’hongre leurs bourrins 3 d’puis trente ans. Faut supplier pour être payé et encore, y’rognent toujours. Bah, c’tait encore pis du temps d’l’autre abbé, c’ui qu’a passé y a six, sept ans. Paraît que Dieu m’le rendra au centuple.
    La tenancière s’esclaffa :
    — Pour sûr, mon gars ! Encore faut-il qu’tu montes au paradis – et j’parierais pas mon prochain cruchon là-dessus – et qu’y ait des chevaux à châtrer là-haut !
    L’hilarité se propagea à l’assemblée.

    Robert n’était pas peu fier, d’autant que Clotilde et son frère Raymond semblaient eux aussi réjouis. Elle était avenante, très à son goût et depuis longtemps, Clotilde. Gironde ce qu’il fallait, de courte taille avec de beaux cheveux couleur de blé mûr, des yeux d’un étrange bleu-gris, un petit nez si mignon qu’on l’aurait volontiers croqué. On la disait prompte au rire, mais de belle piété, et aucune ombre de légèreté de cuisse ne ternissait sa réputation. Au fond, selon Robert, les seuls gros défauts de Clotilde se nommaient Raymond, son frère qui la surveillait tel le lait sur le feu, et maître Ghislain Loquet, leur père, fermier à Saint-Denis-d’Authou. Une ferme un peu importante, rien à voir avec la masure de la famille de Robert, ni avec le lopin de terre qu’ils cultivaient. Ghislain Loquet avait bonne réputation. Toutefois, Robert doutait qu’il offre la main de son unique donzelle à un jeune paysan sans fortune, aussi courageux et probe fût-il. Il intercepta le regard appuyé, mi-amusé, mi-attendri que lui destinait la jeune fille, et se sentit rougir jusqu’à la racine des cheveux. Benêt, il baissa la tête.
    — Cependant, Sylvestre a grande raison, poursuivit Cécile, dite maîtresse Borgne, en pouffant. Ce s’rait pas chrétien d’permettre à un vil assassin d’poursuivre ses œuvres ! Faut causer au secrétaire du bailli… D’autant qu’y vient parfois s’rincer l’gosier céans.
    1 - Tout comme « compère », le terme n’avait à l’époque rien de péjoratif. Il signifia d’abord « seconde mère », marraine, puis devint un terme amical désignant de plaisants voisins.
    2 - Qui castrait les chevaux.
    3 - De bourrique, du latin burricus .

XI
    U ne bourrasque de vent s’engouffra soudain dans la taverne, faisant vaciller les torches de résineux qui éclairaient la salle sombre, même durant le jour. Prudente, la gargotière se tut. Tous, brusquement inquiets, tournèrent le visage vers les nouveaux arrivants. Et si ces inconnus les avaient entendus ? Mieux valait se méfier des étrangers.
    — Le bonjour à vous, gens de bonne compagnie ! lança Druon à la cantonade en s’appliquant à renforcer les graves de sa voix ainsi qu’il le faisait depuis des mois, depuis qu’Héluise s’était transformée afin d’échapper

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