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Lacrimae

Titel: Lacrimae Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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d’un prétexte courtois le frère portier, dont les couinements d’effroi portaient sur les nerfs. Ils s’immobilisèrent à une demi-toise* du cadavre. Robert en profita pour détailler à nouveau celui-ci, et le manche du beau coutelas de chasse.
    Quelques freux sautillèrent avant de s’envoler à contrecœur. Ils surveillaient les parages avant de se ruer sans crainte sur ce qui n’était pour eux qu’un autre festin de charogne.
    Tous se signèrent, surveillant à la dérobée Constant de Vermalais, le seigneur abbé, attendant ses ordres ou ses commentaires. Ils furent brefs :
    — Notre gentil frère Étienne… Impie ! tonna-t-il, d’un ton de rage. Trucider de la sorte un moine… un fils qui n’était que piété envers Dieu et attachement envers son ordre. Maudit ! (Se tournant vers les serviteurs laïcs qui avaient ôté leur bonnet en signe de respect, il commanda :) Allongez Étienne sur le brancard. Sur le flanc, nigauds, pas sur le dos ! Qu’on le ramène à l’instant en l’abbaye, à l’infirmerie, et que l’on fasse quérir au plus vite notre médecin.

    Les quatre hommes s’exécutèrent avec une fébrilité qui fit craindre à Robert qu’ils lâchent le pauvre corps, que la rigidité cadavérique rendait peu coopératif, avant de parvenir à le transporter sur le brancard fait de deux longs branchages auxquels était retenue une toile épaisse. Les quatre serviteurs s’éloignèrent ensuite en direction de l’abbaye. Les deux enfants firent mine de s’écarter à leur tour, après un respectueux salut aux moines. La voix sèche de l’abbé les retint :
    — Halte ! Vous autres petits chenapans 1 , nul mot de tout ceci à quiconque. Pas de clabaudages. M’entendez ? Cette horreur ne concerne que l’abbaye. Gare si vous désobéissiez.
    Il tourna les talons, aussitôt suivi du frère tourier qui adressa un discret sourire, un peu contrit, aux deux enfants.
    1 - Le terme est fort à l’époque et signifie « vauriens » ou « bandits ».

X
    M aîtresse Borgne, Cécile de son petit nom que nul n’utilisait plus, hormis sa proche famille, depuis son bref mariage à maître Borgne, décédé quelques mois après les épousailles, accueillit le garçon avec plaisir. Elle lui claqua deux baisers sonores sur les joues et lui servit un gobelet de son « meilleur », une piquette aigrelette dont elle affirmait toujours :
    — Bah, après cinq gorgées, on l’sent plus et ça réchauffe !
    En dépit de l’heure encore matinale, une bonne dizaine d’habitués était attablée, et les plaisanteries, les ragots ricochaient de place en place. On se délassait les membres devant un cruchon ou une tisane après les travaux du début de jour et avant de reprendre le labeur. Robert remarqua aussitôt la présence de Clotilde et de son aîné, Raymond, à l’habitude la mine sérieuse, pour ne pas dire fermée. Il avala la moitié du gobelet de vin pour se donner du courage et se planta au milieu de la salle. Le silence se fit progressivement. Tous se tournèrent vers lui, attendant la suite. Il raconta « sa » découverte macabre par le menu, insistant lourdement sur l’étrange attitude du seigneur abbé et son arrogance.

    Il s’écoula quelques secondes, tous se consultant du regard, hochant la tête d’un air entendu, puis une commère 1 lâcha d’un ton ferme :
    — Ça m’étonne guère d’la part de ceux autres !
    Aussitôt, vingt commentaires s’entrecroisèrent, chacun y allant d’une anecdote fâcheuse au sujet des moines. Robert se rengorgea.
    La voix de stentor de maîtresse Borgne surnagea :
    — Quand même, y a du louche là-d’ssous ! Non qu’ça me surprenne non plus. Et donc, y t’a ordonné de fermer ton clapet quand t’as mentionné Martin Borée et le supplice réservé aux voleurs ?
    — En vérité !
    Sylvestre, le hongreur 2 , un homme de parlé lent mais de jugeote, déclara alors :
    — Moi, j’dis… quand deux meurtres sont si semblables, c’est qu’c’est la même main qu’est derrière ! Faudrait qu’on prévienne l’secrétaire du bailli, qu’est gars plutôt plaisant.
    — Sauf que l’abbaye dépend pas d’la justice séculaire, remarqua Agnès Grosjean qui prenait soin de ne pas étaler sa soudaine richesse, bien mal acquise, en ne s’offrant qu’une tisane alors qu’un bon gorgeon accompagné d’une collation l’aurait fort tentée.
    Agnès, ex-servante de feu le mercier Borée, hésitait

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