L'âme de la France
mars au 22 juin 1815, du débarquement de Golfe-Juan à l'abdication, la légende s'empare de tous les actes de Napoléon et achève de transformer son parcours historique en mythe qui, irriguant l'âme de la France, oriente par là l'histoire de la nation.
Homme providentiel, Napoléon est grandi par la défaite, la déportation à Sainte-Hélène.
Il devient le persécuté, le héros crucifié, et ces Cent-Jours, la défaite sacrificielle de Waterloo, font de lui, par une forme de « sacre », ainsi que l'écrira Victor Hugo, l'« homme-peuple comme Jésus est l'homme-Dieu ».
Lucidement, méticuleusement, lorsque, à Sainte-Hélène, il dicte à Las Casas ses Mémoires, ce Mémorial de Sainte-Hélène qui deviendra le livre de chevet de centaines de milliers de Français – mais aussi d'Européens –, Napoléon s'applique à faire coïncider l'histoire avec le mythe, avec les désirs des nouvelles générations, et à transformer son destin en épopée de la liberté.
Hugo, Stendhal, Vigny, Edmond Rostand, une foule d'écrivains ont contribué à façonner cette légende, et, par là même, à créer dans l'imaginaire français – dans l'âme de la France – une nostalgie qui est attente de l'homme du destin.
Tel Napoléon Bonaparte, celui-ci sera l'incarnation de la nation, il lui procurera grandeur et gloire, confirmera qu'elle occupe avec lui une place singulière dans l'histoire des nations.
Il sera aussi un homme du sacrifice, gravissant le Golgotha, aimé, célébré, entrant au Panthéon de la nation après avoir été trahi par les judas qui l'auront vendu pour quelques deniers.
La légende napoléonienne sous-tend à son tour et renforce cette lecture « christique » de l'histoire nationale.
La France se veut une nation singulière, et il lui faut des héros qui expriment l'exception qu'elle représente.
Elle les attend, les sacre, s'en détourne, puis elle prie en célébrant leur culte.
« Fille aînée de l'Église », cette nation a gardé le souvenir des baptêmes et des sacres royaux, des rois thaumaturges.
La Révolution laïque n'a changé que les apparences de cette posture.
Robespierre lui-même ne conduisit-il pas un grand cortège célébrant l'Être suprême dont il apparaissait comme le représentant sur terre ? Et sa chute, sa mort, ne furent-elles pas autant de signes de cette « passion » révolutionnaire qui l'habitait ?
Et lorsque l'on célèbre, dans une cérémonie expiatoire, la mort de Louis XVI et de Marie-Antoinette, c'est, sur l'autre versant du Golgotha, le même sacrifice, le même destin qu'on magnifie.
Plus prosaïquement, et avec habileté, durant les Cent-Jours, Napoléon joue du rejet par l'opinion de la restauration monarchique.
Il se présente comme l'homme de 1789 et même de 1793.
Dès le 12 mars, par les décrets de Lyon (ville d'où le comte d'Artois vient de s'enfuir), il réaffirme que l'ancienne noblesse est « abolie », que les chambres sont dissoutes, que les électeurs sont convoqués pour en élire de nouvelles, et que le drapeau tricolore est à nouveau celui de leur nation.
Tout au long de cette marche vers Paris, les troupes se rallient – autant de faits qui deviendront des images d'Épinal, des épisodes de légende –, les paysans l'acclament. Il a choisi de passer par les Alpes et non par la vallée du Rhône, « royaliste ». On plante des « arbres de la liberté », comme en 1789. Il répond qu'il compte « lanterner » les prêtres et les nobles qui veulent rétablir la dîme et les droits féodaux, et il affirme même : « Nous recommençons la Révolution ! »
À son arrivée à Paris, le 20 mars, le « quart état » manifeste dans les faubourgs du Temple, de Saint-Denis, de Saint-Antoine, en chantant La Marseillaise et en brandissant des drapeaux tricolores.
Le Paris des journées révolutionnaires qui, depuis 1794, n'a connu que des défaites et des répressions sort de sa torpeur.
Et les vieux jacobins régicides appellent à soutenir ce nouveau Napoléon qui promulgue l'« Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire », texte libéral qui élargit les pouvoirs des élus.
1 536 000 oui contre 4 802 non approuveront ces nouvelles dispositions.
Ce n'est pourtant là qu'une face de la réalité.
Napoléon n'est pas un jacobin, mais un homme d'ordre, qu'il ne veut pas rompre avec les « notables » qui l'accueillent aux Tuileries pendant que l'on manifeste dans
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