L'âme de la France
s'enraciner, alors le sillon commencé avec la fête de la Fédération en 1790, puis interrompu par la Terreur et détourné au profit de Bonaparte, pourra enfin être continué.
Thiers, Guizot, qui gouverneront si souvent de 1830 à 1848, rêvent de ce pouvoir à l'anglaise, avec des Chambres élues au suffrage censitaire, un roi qui règne mais ne gouverne pas.
Malheureusement pour eux, Louis-Philippe veut régner et ne joue pas le jeu du Parlement.
Certes, le « roi citoyen » rompt avec l'idée d'un retour à l'Ancien Régime. Cela suffit d'ailleurs à dresser contre lui tous les monarchistes légitimistes.
Mais, naturellement, les républicains et les révolutionnaires qui découvrent que leur héroïsme de juillet 1830 n'a servi qu'à installer sur le trône un monarque, à la place d'un autre, le haïssent.
On essaiera – des régicides issus de toutes les oppositions – à six reprises de le tuer. Et on visera aussi son fils, le duc d'Aumale.
On ignorera les réussites d'une monarchie qui conclut une entente cordiale avec l'Angleterre et ne se lance dans aucune aventure guerrière.
Elle achève de conquérir l'Algérie et de la pacifier.
Elle jette les bases d'un empire colonial.
Elle unifie le pays en créant soixante mille kilomètres de chemins vicinaux, 4 000 kilomètres de voies ferrées, qui contribuent à renforcer la centralisation de la nation.
Paris est la tête où tout se décide, où tout se joue.
Les campagnes restent soumises à leurs nobles légitimistes, méprisants envers ce roi boutiquier, inquiets de voir Guizot exiger des communes qu'elles créent une école primaire, et de certains départements, qu'ils bâtissent une école normale d'instituteurs.
Cet enseignement n'est encore ni obligatoire, ni gratuit, ni laïque, mais il ouvre le chemin à l'Instruction publique.
Cependant, la monarchie constitutionnelle reste une construction fragile, et son renversement en février 1848 clôt, dans l'histoire nationale, le chapitre de la royauté.
On ne confiera jamais plus le pouvoir à un souverain issu de l'une ou l'autre des branches de la dynastie, qu'il arbore les fleurs de lys ou les trois couleurs.
Ce que le peuple de France rejette depuis 1789, ce n'est point tant le gouvernement d'un seul homme – Napoléon fut le plus autoritaire, le plus dictatorial des souverains – que l'accession au trône par filiation héréditaire.
Même le fils de Napoléon ne peut accéder au trône. Le roi de Rome n'est que le sujet d'une pièce mélodramatique qui sera écrite beaucoup plus tard.
Ce ne sont plus ni les liens de sang ni le sacre qui légitiment le pouvoir, mais l'élection.
En 1848, quand Louis-Philippe part en exil, alors que Paris ignore que le roi a abdiqué en faveur de son petit-fils, le comte de Paris, une nouvelle période de l'histoire de France commence.
Les nostalgies monarchiques – légitimistes ou orléanistes – pourront bien perdurer, susciter d'innombrables manœuvres politiques, elles ne donneront plus naissance qu'à des chimères et à des regrets.
Des quatre modèles politiques qui ont composé la combinatoire institutionnelle de la France à partir de 1789 – monarchie d'Ancien Régime, monarchie constitutionnelle, empire, république –, il ne restera plus, après l'échec de la monarchie constitutionnelle, que les deux derniers.
C'est dire l'importance du sort de cette monarchie louis-philipparde pour l'orientation de toute l'histoire nationale à partir des années 1830-1848. En fait, se mettent alors en place de nouvelles forces sociales et politiques, des manières de penser – des idéologies – qui coloreront l'âme de la France durant le dernier tiers du xix e siècle et tout le xx e .
De nouveaux mots apparaissent : socialisme, socialistes, communisme, prolétaires.
Surtout, s'opère la fusion entre ces « prolétaires », ces ouvriers, et le mouvement républicain. On se souvient de la conspiration des Égaux de Babeuf, du Comité de salut public.
Pour les notables, les propriétaires, ce sont là des « monstruosités » dont il convient d'éviter à tout prix le retour.
Pour d'autres – les républicains révolutionnaires –, c'est un exemple, une voie à prolonger. Au bout, il y a la république sociale fondée sur l'égalité.
L'un de ces idéologues – Laponneraye – écrira en 1832 : « Il s'agit d'une république où l'on ne connaîtra point la distinction de bourgeoisie et de peuple,
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