L'âme de la France
qu'en possède le pape. Et ses propagandistes écrivent, et on recopie leur Traité du Sacre , le Songe du Vergier , dans lesquels ils exaltent les caractères du monarque, mystique et divin, de la royauté française, tout en affirmant son indépendance vis-à-vis de la papauté.
Ce souverain-là ne veut conduire qu'une guerre victorieuse. Assez de Crécy et de Poitiers ! Ses chefs de guerre, Bertrand Du Guesclin et Olivier de Clisson, sont de prudents hommes d'armes, non des chevaliers téméraires et écervelés, cibles des archers anglais. Du Guesclin et Clisson conseillent de ne combattre les Anglais que s'ils sont en mauvaise posture : c'est ainsi seulement qu'on doit « prendre un ennemi ».
Et prudemment, de manière retorse, Charles V se réapproprie le Poitou, la Saintonge et l'Angoumois.
En 1380, à sa mort, l'Anglais ne possède plus qu'une bande de terre entre Bordeaux et Bayonne, et les villes de Calais, Brest et Cherbourg.
Le royaume reprend son souffle après des temps où la peste, la disette et la guerre l'étouffaient.
On peut semer et moissonner. On peut vendre son grain en échange d'une monnaie – un franc d'or – que de trop rapides changements de teneur en métal précieux ne dévaluent pas d'une saison à l'autre. Et à Paris on peut s'imaginer que l'ordre et la sécurité vont régner.
Charles V entreprend de renforcer les défenses de la ville. Une nouvelle enceinte est construite, englobant les nouveaux quartiers.
Il protège ainsi sa résidence de l'hôtel Saint-Paul, immense bâtiment qui possède sept jardins, une ménagerie, une volière, un aquarium. Il poursuit la construction du donjon de Vincennes et commence à ériger, à la porte Saint-Antoine, une Bastille qui comportera huit donjons reliés par un mur de vingt-quatre mètres de hauteur.
Aucune ville chrétienne ne recèle une telle forteresse. Mais Paris n'est-elle pas la plus grande ville de la chrétienté ?
Ainsi, tout au long du règne de Charles V (1364-1380), se dessine et se précise dans l'âme française le modèle du « bon souverain », lettré (on dira de Charles V qu'il est « le Sage »), entouré de conseillers dévoués – savants eux-mêmes –, prudent mais courageux défenseur du royaume, soucieux du bien commun, et, comme l'écrit sa biographe Christine de Pisan, fille d'un médecin conseiller du roi, « désireux de garder et maintenir, et donner exemple à ses successeurs à venir que par solennel ordre doit se tenir et mener le très digne degré de la haute couronne de France ».
Roi administrateur veillant à la bonne gestion du royaume, il promulgue de Grandes Ordonnances afin d'organiser sa succession – son fils Charles n'a que douze ans en 1380 – en créant un conseil de régence, mais est tout aussi préoccupé de veiller au sort de la forêt française, cette richesse du royaume dont une ordonnance, à compter de 1376, fixe les règles d'exploitation.
Ce souverain-là sait écouter son peuple.
Quand des émeutes urbaines – à Montpellier, notamment – et des jacqueries – celles des tuchins qui se mettent sur la touche (1379) – soulèvent le peuple contre le fisc, il réprime mais diminue les impôts. Et, peu avant sa mort, il annonce la suppression des impôts directs, les fouages (calculés par « feux »).
C'est le roi juste et sage, celui que recherchent tout au long de leur histoire les Français, et qui, parce qu'il y a eu Saint Louis et Charles V – puis d'autres, plus tard, de cette « sainte lignée » –, ne surgit ni d'un rêve ni d'une utopie. C'est celui qu'on attend dans les temps sombres, et qu'on regrette après sa mort.
« Au temps du trépassement du feu roi Charles V, l'an 1380, les choses en ce royaume étaient en bonne disposition et avaient fait plusieurs notables conquêtes. Paix et justice régnaient. N'y avait fait obstacle, sinon l'ancienne haine des Anglais... »
Il n'y a pas que l'Anglais.
Le chroniqueur Jean Juvénal des Ursins oublie que l'étranger, dans un royaume comme la France, ne peut rien s'il ne bénéficie de la complicité, de l'alliance d'une partie des grands.
Or l'œuvre de rétablissement accomplie par Charles V est minée par les privilèges, les apanages qu'il a accordés à ses trois frères : Jean de Berry, Louis d'Anjou et Philippe de Bourgogne. Ce sont eux qui vont composer le conseil de régence, puisque, à la mort de Charles V, son fils Charles VI n'a que douze ans.
Et
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