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L'âme de la France

L'âme de la France

Titel: L'âme de la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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masures.

    On sait que le monarque est jeune, beau, séducteur, conquérant. À Paris, on connaît le nom de ses maîtresses, nombreuses, titrées, comtesses, duchesses ou marquises : la Pompadour, la Du Barry. Mais au royaume de France on ne juge pas un roi sur ses fréquentations d'alcôve.
    Le sacre en fait un être distingué par Dieu, homme au-dessus des autres humains.
    Les conseillers, ses ministres, ses maîtresses, ses confesseurs, peuvent le tromper, lui faire commettre des erreurs. Mais lui est sacré. On prie pour son salut, afin que Dieu l'éclaire dans les choix qu'il doit faire pour ses sujets.
    Quand, en 1744, il tombe malade à Metz, les églises se remplissent. Il faut sauver Louis le Bien-Aimé .
    Mais, treize ans plus tard, quand, dans les jardins du château de Versailles, un domestique, Robert François Damiens, frappera le roi d'un coup de canif, l'écorchant à peine, on ne relèvera aucune émotion dans le royaume, plutôt une indifférence méprisante. Et presque de la pitié et de l'indulgence pour ce Damiens qu'on va rouer, cisailler aux aines et aux aisselles pour faciliter l'écartèlement par quatre chevaux attelés à ses membres.

    Au mitan du  xviii e  siècle, dans les années 1740-1760, quelque chose de décisif s'est donc produit dans le rapport du peuple et de son roi.
    Le monarque et l'institution monarchique paraissent désacralisés.
    Dans la constitution et l'évolution de l'âme de la France, ce tournant est capital.
    Il s'agit en fait d'une véritable révolution intellectuelle.

    Les esprits de ceux qui pensent, écrivent, publient, font jouer leurs pièces sur les scènes des théâtres, lisent leurs œuvres dans les salons parisiens, entretiennent une correspondance quotidienne avec Londres ou Berlin, ont échappé à la monarchie absolue.
    Ils portent un regard différent sur le monde.
    La raison plus que la foi guide leur pensée. Ils décrivent, ils analysent. Ils sont écoutés, applaudis.

    Face à ce mouvement des idées, à ces Lumières qui se répandent, la monarchie est hésitante.
    Ces esprits indépendants n'appellent pas à la révolte. Cette fronde intellectuelle ne fait pas tirer le canon sur les troupes royales. Ces « philosophes » – puisque c'est ainsi qu'on les nomme – fréquentent les salons, sont accueillis à la Cour, courtisés et protégés par les aristocrates.
    Mais cette révolution dans les esprits sape les fondements de la monarchie absolue.
    Marivaux, Voltaire (les Lettres philosophiques en 1734, Zadig en 1747, l' Essai sur les mœurs et l'esprit des nations en 1757, année de Damiens, le régicide), Rousseau, qui, lui, s'avance au nom de l'égalité et ébranle ainsi les bases sociales du système monarchique, font triompher l'esprit laïque.
    Quand, en 1752, Voltaire publie Le Siècle de Louis XIV , il jauge le règne avec une indépendance d'esprit qui, par-delà les jugements qu'il porte sur la période, sont un acte révolutionnaire.
    Et la parution en 1751 du premier tome de l' Encyclopédie , qui s'approprie tous les domaines pour les reconstruire hors de la « superstition », a la même signification.

    Que faire avec ces philosophes ?
    En 1749, Diderot a été emprisonné à Vincennes. En 1752, un arrêt du Conseil annule l'autorisation de paraître des deux premiers volumes de l' Encyclopédie .
    Mais, outre que les philosophes bénéficient de la protection de membres influents de la Cour (madame de Pompadour), chaque mesure prise à leur encontre les renforce en attirant l'attention sur leurs discours. Un « parti philosophique » se constitue ainsi, vers les années 1750, autour de l' Encyclopédie , de Voltaire, de Diderot et de d'Alembert.
    Il devient un acteur déterminant de l'évolution du royaume. Sa vigueur, sa créativité et sa diversité en font un des éléments constitutifs de l'âme de la France.

    Pour la première fois dans l'histoire nationale, un pouvoir « intellectuel » se crée hors des institutions – la Cour, l'Église, les parlements, etc. –, transcendant les ordres, les classes – noblesse, clergé, tiers état –, et fait face à celui de la monarchie.
    Avec De l'esprit des lois , Montesquieu lui confère en 1748 une dimension politique en mettant l'accent sur le risque de dérive despotique de la monarchie absolue.
    Il souligne que la seule manière de l'empêcher est de dresser contre le pouvoir un autre pouvoir. Ce « contre-pouvoir », les corps intermédiaires en

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