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L'Américain

L'Américain

Titel: L'Américain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Franz-Olivier Giesbert
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d’exécution. J’avais quatre ou cinq ans et la mort m’intéressait. Je ne fus pas déçu. La hache tomba bien sur le cou de la bête, mais il semble que l’émotion avait fait perdre à mon père un peu de sa force herculéenne, à moins que la trajectoire de la lame n’ait dévié pour quelque obscure raison. Le coq s’enfuit en criant et en battant des ailes mais, il est vrai, sans se pousser du col, comme à son habitude. On le chercha longtemps dans les hautes herbes où il avait disparu. Quand on le retrouva, il était presque mort et poussa un dernier soupir sur la route de la cuisine. Je me souviens qu’une fois plumé, il avait la peau bleue, comme les cadavres qui ont beaucoup souffert.
    Mon père ne mangea pas de coq, moi non plus. Pas à cause de la peau bleue, mais parce que cette longue agonie nous avait coupé l’appétit. C’est ce jour-là qu’il décida que maman tuerait les bêtes, désormais.

6
     
    C’était ce qu’on appelle un beau garçon. Les épaules larges, une bouche à baiser et des cheveux roux bouclés. Il portait des chemises américaines qu’il ouvrait jusqu’au troisième bouton, sur sa poitrine hâlée. Il avait dans les dix-huit ans, peut-être plus. Je me souviens qu’il sentait l’herbe mouillée, sans doute parce qu’il s’y allongeait souvent, pour regarder le ciel, une tige de bouton-d’or entre les lèvres.
    Quand il ne regardait pas le ciel, il s’asseyait sur une pierre au bord de la Seine, et pouvait rester des heures à l’observer dérouler son interminable corps sombre. À part ça, il ne faisait pas grand-chose. Il habitait un baraquement avec ses parents, à côté de notre maison, et s’appliquait à y passer le moins de temps possible. Il me semble qu’il était, comme moi, en délicatesse avec son père.
    Je ne me rappelle plus son prénom. C’est normal. J’ai longtemps cherché à effacer de ma mémoire ce chapitre de mon enfance. Je croyais l’avoir enfoui dans les profondeurs d’où les souvenirs ne reviennent jamais. Mais il a suffi que je me concentre un peu, avant d’écrire ces lignes, pour que toutes les images remontent à la surface. Les images, pas les mots.
    Un jour, il m’invita à faire un tour avec lui. Il voulait me montrer quelque chose, derrière le verger de mes parents. Il ne pouvait pas me dire quoi. Ce serait une surprise. Je le suivis volontiers. Il m’inspirait confiance car nous étions du même monde, celui du vent, des ronces et des berges de la Seine : l’un comme l’autre, la nature nous passait à travers. Je me sentais bien, de surcroît, sous son regard qui me caressait. J’aimais déjà qu’on m’aime et j’avais compris qu’il m’aimait beaucoup.
    Il faisait beau et la chair herbeuse de la terre tremblait de plaisir sous les rayons du soleil qui piochaient dedans. La Normandie est très sensuelle. Surtout l’été. Souvent, quand elle dore son grand corps humide, elle sent l’amour. Ce n’est pas étonnant. Elle en déborde.
    Le garçon que j’ai dit débordait mêmement d’amour. D’amour pour moi. Au lieu de m’en inquiéter, comme la jeune fille qu’on emmène au bois, j’étais au septième ciel, souriant au monde et répondant par des minauderies à ses effleurements. Il trouva une place, sous un bouquet d’arbres, et me proposa de m’asseoir avec lui avant de se relever, soudain, sous prétexte que l’endroit ne lui convenait pas. Nous nous installâmes un peu plus loin, à l’écart du chemin, dans un renfoncement cerné par les ronces. Il baissa son pantalon et me montra la surprise.
    On aurait dit un serpent prêt à bondir sur sa proie, avec une grosse tête écarlate et une petite bouche sans lèvres, qui criait famine. C’est moi qu’elle voulait manger, je le compris tout de suite. Ça ne me disait rien qui vaille. Je serrai les dents, en essayant de garder mon sourire.
    Quand il me demanda de sucer la chose, je me contentai de secouer la tête, et encore, pas trop, afin de ne pas le contrarier parce qu’il n’était pas dans son état normal. Ses mains tremblaient. Ses lèvres et ses paupières aussi. Je savais déjà qu’il faut se méfier des gens qui tremblent.
    Il sortit un bonbon de sa poche et me proposa un marché. Si j’acceptais de me laisser fourrer la chose dans la bouche, j’en aurais un. Peut-être même plusieurs. À moins qu’il ne me donne, il était prêt à cette extrémité, le paquet tout entier. Mais il fallait que je collabore.
    Je

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