L'Américain

était très agité et l’interne de service crut utile de le sermonner :
    « Un peu de courage, monsieur, je vous prie ! Calmez-vous ! »
    Sur quoi, papa se calma pour de bon en rendant l’âme. Quand j’appris la nouvelle, je pleurai longtemps. Je n’ai jamais pleuré autant à la mort de quelqu’un, même à la mort de maman. Rien n’est pire que de se quitter fâchés.
    Papa n’avait pas laissé de dernières volontés. Maman les respecta quand même en lui épargnant les obsèques religieuses. Il en serait mort une nouvelle fois. Mais elles m’auraient mieux aidé à faire passer ma peine. À cause de la musique et des lectures de la Bible.
    Avant la mise en terre de papa, je lui rendis visite à la morgue de l’hôpital. Il ne sentait pas la rose et une grande tache violette maculait tout le côté gauche de sa poitrine. Mon cœur battait très fort quand je me suis penché sur lui et que j’ai posé un baiser sur son front, déjà rempli par les grands froids éternels.
    C’est la seule fois que je l’ai embrassé. Des années après, j’ai toujours dans la bouche le goût aigre et sucré de ce baiser. Le goût de la mort.
    En me redressant, je me retins, par respect pour lui, de faire le signe de croix mais je me rappelle avoir prié longtemps sur le pas de la porte.

COLLECTION FOLIO
     

    GALLIMARD
     
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    © Éditions Gallimard, 2004.

« On l'appelait "l'Américain". Après le Débarquement, il avait rencontré ma mère lors d'un bal donné à Rouen, en l'honneur des libérateurs. Et il s'était fixé en Normandie. Il me battait beaucoup. Il battait, surtout, beaucoup maman. C'est pourquoi j'ai passé mon enfance à vouloir le tuer. Ma haine contre lui ravagea tout en moi, ma lucidité et mon humanité. Jusqu'à sa mort. Mais jamais je n'oublierai le sourire souffrant qu'il traînait partout et qui, aujourd'hui encore, me fend le cœur. »
    Franz-Olivier Giesbert.

DU MÊME AUTEUR
     
    Aux Éditions Gallimard
     
LE VIEIL HOMME ET LA MORT, 1996 (Folio, n o  2972).
     
MORT D’UN BERGER, 2002 (Folio, n o  3978).
     
L’ABATTEUR, 2003 (« La Noire »; Folio policier n o  410).
     
L’AMÉRICAIN, 2004. Prix du Témoignage biographique 2004 (Folio n o  4343).
     
    Aux Éditions Grasset
     
L’AFFREUX, 1992. Grand Prix du roman de l’Académie française.
     
LA SOUILLE, 1995. Prix Interallié.
     
LE SIEUR DIEU, 1998.
     
    Aux Éditions du Seuil
     
FRANÇOIS MITTERRAND OU LA TENTATION DE L’HISTOIRE, 1997.
     
MONSIEUR ADRIEN, 1982.
     
JACQUES CHIRAC, 1987.
     
LE PRÉSIDENT, 1990.
     
LA FIN D’UNE ÉPOQUE, 1993 (Fayard-Seuil).
     
FRANÇOIS MITTERRAND, UNE VIE, 1996.

Cette édition électronique du livre L'Américain de Franz-Olivier Giesbert a été réalisée le 05 janvier 2012 par les Éditions Gallimard.
    Elle repose sur l'édition papier du même ouvrage (ISBN : 9782070320950 - Numéro d'édition : 144623).
    Code Sodis : N52130 - ISBN : 9782072466656 - Numéro d'édition : 240898
     
     
    Le format ePub a été préparé par ePagine
www.epagine.fr
à partir de l'édition papier du même ouvrage.