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L'Américain

L'Américain

Titel: L'Américain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Franz-Olivier Giesbert
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mots des amants. Des promesses. Des professions de foi. Moi qui n’étais rien, avec elle, je devenais tout. C’était un gouffre où je me jetais sans arrêt pour m’élever, gonflé de tous les vents du monde.
    Je lui dois le pire et le meilleur de mon adolescence. Mes migraines. Ma triste figure. Mes mauvaises notes. Mais aussi des ivresses qui m’emmenaient toujours plus haut et m’ouvraient des horizons sans fin.
    Un jour papa frappa à la porte des toilettes alors que j’étais avec elle, en plein effort :
    « Que fais-tu encore là-dedans ?
    — Devine. Je suis constipé.
    — Tu es là depuis une heure !
    — Je n’en ai plus pour longtemps. »
    Je tirai la chasse d’eau et, après avoir ouvert la fenêtre puis dissimulé mon Paris-Hollywood sous mon chandail, sortis tranquillement, l’air détaché. Il me regarda dans les yeux :
    « Ne crois-tu pas qu’il serait temps que tu prennes une fille. Tu verras, c’est tellement mieux. »
    Je l’observai avec une expression de consternation méprisante qui m’aurait valu une bonne trempe s’il n’avait été, ce jour-là, dans de bonnes dispositions. Merci du conseil, mon vieux, mais es-tu sûr que ça tourne bien dans ta tête ?
    Contrairement à ce qu’il pensait, j’avais des filles. Je me rappelle leurs prénoms, elles se reconnaîtront. Béatrice, Véronique, Christine, Catherine, Marie-Laure, et j’en passe. À cette époque, je tombais tout le temps amoureux. Souvent même, plusieurs fois dans la même heure. Je ne savais plus où donner de la tête. Mais quand les femmes de ma vie s’approchaient de moi, jamais les mots ou les gestes ne venaient et mon pauvre engin rapetissait entre mes jambes. Tels étaient, chez moi, les effets de la passion.
    Je me souviens de la formule de mon père, avant de refermer sur lui la porte des toilettes :
    « Tu n’as que les rogatons du plaisir, mon gars. Le vrai plaisir, pour un homme, c’est de donner du plaisir à une femme. »
    Avec l’air hagard du type qui vient de rater un avion, je ne pouvais, hélas, tromper personne. Un jour que j’étais allé à confesse, le curé de l’Immaculée Conception, l’une des églises d’Elbeuf, avait tenté de me tirer les vers du nez. Après que j’eus dévidé la liste de mes péchés, il me demanda avec cette suavité, si propice aux aveux :
    « Est-ce que tu te touches ?
    — Jamais. »
    Je n’avais pas menti. Je ne me touchais jamais. Il me suffisait d’un rien pour faire venir la fruition. La photo que j’ai dite ou un visage de femme en tête. Une odeur, parfois. J’avais l’amour facile et frénétique.
    Mes mauvaises habitudes ne m’empêchaient pas de me plonger de temps en temps dans les saintes Écritures, et je me souviens encore du malaise qui m’envahit quand, un jour, je découvris le passage du Lévitique, où Yahvé dit à Moïse que « celui qui a eu dans son corps un écoulement est impur ». Impurs aussi le lit où il s’est couché pour accomplir son forfait, la chaise sur laquelle il s’assoit. Si on a le malheur de toucher le masturbateur ou bien ses affaires, il est urgent, toujours selon Yahvé, de laver ses vêtements et de se baigner à grande eau, et encore, on reste impur jusqu’au soir.
    Le masturbateur, lui, devra attendre sept jours pour commencer son travail de purification en lavant ses vêtements et en se baignant « tout entier » dans l’eau, avant d’offrir deux tourterelles ou deux pigeons au prêtre, pour l’expiation. Il me semblait que papa avait un fond chrétien, du moins biblique, pour avoir, à ce point, en horreur mon misérable passe-temps.
    À force de répandre partout mon jus de cervelle, j’avais dépassé depuis longtemps les limites de l’impureté. Je puais l’alcôve pourrie et mes douches épisodiques n’y changeaient rien. Je crois que je ressemblais à ces chiens galeux et fourbes qui, en certaines saisons, bourriquent tout ce qui passe à leur portée. Sauf que je ne bourriquais personne. Je me sentais si sale, à l’intérieur, que je cessai de fréquenter les églises, à cette époque. Mais je continuais quand même à prier Dieu, le soir, pour ménager l’avenir.

9
     
    L’amour dont je débordais était comme un torrent qui m’emmenait continuellement au ciel. Un jour, il me fallut bien redescendre sur terre.
    Une petite excroissance dans le sein droit, à la hauteur du téton, en fut la raison. J’en perdis le sommeil plusieurs nuits de suite,

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