L'amour à Versailles
Lorsqu’en 1663, à la messe de minuit, Louise, qui a accouché trois semaines plus tôt, est apparue pâle et fatiguée, la supercherie n’a trompé personne. Le roi, fin stratège et, somme toute, bon père de famille, juge préférable de ne plus mentir : lorsqu’il retourne à la messe, c’est avec à sa droite Marie-Thérèse, et à sa gauche, ducôté du coeur, sa maîtresse. Louise devient ainsi la première favorite « officielle ». Rappelons qu’elle n’est pas mariée, ce qui est rarissime à l’époque, à moins de se retirer au couvent. Elle est souvent décrite comme une femme falote, mélancolique, une beauté fantomatique et un peu molle, je la trouve au contraire bien audacieuse : quel courage ne fallait-il pas avoir pour, à cette époque, « vivre dans le péché » ? Compagne d’un souverain polygame et mère de bâtards, même royaux, il fallait qu’elle ne craigne pas les flammes de l’Enfer que Bossuet, ou un autre, se faisait une joie de lui promettre, ou bien alors qu’elle soit amoureuse.
Louis de son côté ne manque pas de générosité quand il s’agit de sa descendance. Il reconnaît les enfants de sa maîtresse et entend même les loger dans son nouveau palais. En souvenir de leurs escapades dans les bois, il fait bâtir pour elle la grotte de Thétys où ils pourront à nouveau abriter leur amour. En 1663, l’Orangerie est prête, en 1665 le Tapis vert et une partie des jardins. La même année est créée la Manufacture des Glaces : aux paravents discrets, Louis préfère désormais les miroirs. Grâce à l’amour, la demeure de Louis XIII le « chaste » est devenue le refuge ostentatoire des plaisirs de son fils.
Chapitre 5
Aménagements et grands travaux
Un beau jour d’avril 1668, Louise contemple les jardins de la grande terrasse qui vient d’être bâtie. Elle regarde les fleurs s’ouvrir avec le matin, les jeunes arbres qui frissonnent. Le parc est encore en travaux et le chantier chaotique offre un contraste étonnant avec l’ordre impeccable du parterre d’eau. Dans les miroirs qui ne sont pas encore ceux de la galerie des Glaces, mais les hautes fenêtres du bâtiment, elle aperçoit un visage maigre, au teint jaune et aux orbites creuses, le sien. Elle n’a pas vingt-trois ans, elle est la femme la plus enviée du royaume et pourtant elle dépérit à vue d’oeil. Qu’est-ce qui ronge son coeur de jeune femme ? La crainte du péché, des flammes de l’Enfer, qui, à en croire Bossuet, crépitent d’impatience, le souvenir de ses enfants qui, à chaque naissance, lui sont arrachés avant même qu’elle ait pu les prendre dans les bras, ou bien seulement la pensée de l’amour du roi qui, comme sa beauté, s’éloigne d’elle àgrands pas ? Ses grossesses multiples ont sans doute été la cause d’une grande partie de ses tourments : physiquement, elle les supporte très mal. Elles signifient une séparation d’avec le roi, car les médecins lui interdisent de faire l’amour pendant plusieurs mois. Enfin, elles lui font craindre les tortures du ciel pour elle et les limbes pour ces petits conçus dans le péché et dont elle sait qu’elle devra les abandonner.
Il faut dire que les maternités de l’époque en défraîchiraient plus d’une. Tout en vous saignant, on vous corsète, on vous étouffe de conseils et de bons sentiments. Louise, pour dissimuler sa première grossesse, a sauté, dansé, fait du cheval jusqu’à son huitième mois, le coeur serré d’angoisse à la moindre ruade qui aurait pu « faire passer » le petit, le corps emprisonné dans un de ces carcans de fer destiné à masquer son état. Lorsque les armatures et les ganses ne suffisent plus, Louise quitte le service de Madame, puis est transportée dans une annexe du Palais-Royal, que le roi a modestement meublée pour elle : il ne s’agit pas d’attirer l’attention. Viennent les premières douleurs, à l’automne 1663, le roi n’est pas là, la mère de Louise non plus, c’est Colbert qui est chargé d’engager une sage-femme et un chirurgien, compétents certes, mais surtout discrets. Nous sommes à l’époque des médecins de Molière,un peu avant même. Depuis Ambroise Paré, la chirurgie a fait quelques progrès, et la ligature des artères restreint grandement les risques d’hémorragie, mais les décès en couches sont encore fréquents. Il y a fort à parier que la jeune Louise, de constitution fragile, redoute une épreuve dont elle ne sait
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