L'amour à Versailles
grand-chose à se dire. Il lui propose une promenade : les nouveautés du jardin seront autant de sujets de conversation. Elle reste silencieuse. Louise soupire, s’étire, s’étiole. Il lui montre les prouesses des jardiniers, les chefs-d’oeuvre des sculpteurs. Les mouches l’importunent, le parfum des fleurs l’indispose. Elle s’ennuie et devient ennuyeuse. Il pense à la jolie Diane délurée, alerte et pétillante qui partait des journées entières à cheval en sa compagnie, et que lui seul parvenait à rattraper tant elle cavalait à vive allure. Aujourd’hui, il ralentit le pas car elle peine à le suivre, et traîne à son bras une vieille bête famélique. Il songe aux fêtes qu’il a données pour elle, aux Plaisirs de l’île enchantée , dédiés aux deux reines, mais dont elle était l’héroïne. Une semaine durant elle y a été le centre de toutes les attentions et fait son entrée à la Cour. Dans les jardins somptueux aménagés par Le Nôtre se sont succédé carrousels, banquets et courses de bague. Le décor vivant était orné desinventions de Carlo Vigarani, venu spécialement d’Italie pour transformer Versailles en perle baroque. Il la revoit riante, séduisante, discutant passionnément avec Le Bernin des travaux du Louvre, ou vertueuse, refusant les avances et les vingt mille pistoles que Fouquet ose lui proposer en échange de ses faveurs, dispensant grâces et sourires, fraîche et ondoyante comme les nouvelles fontaines qui jaillissent dans le parc. Dans ce cadre splendide, tandis que les six cents invités ont été contraints de dormir dans leurs carrosses, Louis XIV a rejoint secrètement Louise dans un château en chantier, envahi de poussière, où le bruit ne cesse que tard le soir. Elle fut sa muse, sa nymphe, sa Néréide dont il était l’Apollon, se reposant auprès d’elle comme le dieu auprès de Thétys. Pour immortaliser leur amour, il a fait construire cet antre d’amour en plein parc : mais déjà dans le décor mythologique, Apollon descendu de son char est soigné par plusieurs nymphes. Louise de même n’était plus la seule dans le coeur du roi. Il la regarde. Aujourd’hui, ses bras maigres sont une offense aux formes de son double de pierre. Quelques années plus tard, quand une autre nymphe aura chassé Louise de son coeur, il fera détruire la grotte.
Elle pense à ses deux garçons, arrachés à son affection pas plus tôt sortis de son ventre, qu’ellecroit reconnaître dans les bambins qu’elle croise, mais dont elle sait qu’ils sont morts. Elle pense à sa mort à elle, qu’elle imagine prochaine, vu sa santé chancelante, et surtout à sa vieillesse, qu’elle sait déjà solitaire, loin des siens et de celui qui a été son unique amour. Une épouse délaissée garde au moins son titre et sa vertu. De titre, Louise n’a que celui que sa liaison lui a conféré, quant à sa vertu, elles s’est enfuie avec sa beauté. D’ici peu, la favorite abandonnée sera seule avec sa conscience et son chagrin.
Elle pense au coup d’éclat ridicule qui l’a conduite, en plein hiver, à quitter Paris seule, enceinte de quatre mois, à la poursuite du roi, parti faire la guerre… en compagnie de Françoise Athénaïs de Rochechouart de Mortemart, marquise de Montespan ! A Guise, elle retrouve la Cour, la reine et la Montespan, réunies, complices, jouant aux dés, prêtes à accueillir leur guerrier vainqueur. L'amour rend aveugle, la jalousie aussi : la reine a tellement de rancoeur contre Louise qu’elle ne voit pas que le danger est à côté d’elle, dans l’éblouissante dame d’honneur de Madame. Sottement, c’est à la pauvre Louise qu’elle s’en prend, qui se retrouve exclue du campement, sans même de quoi souper. Les seuls mots qui lui sont adressés sont de Mme de Montespan. Ils sont pleins de fiel : à se jeter à sa tête contre sa volonté, Louise vachagriner le roi. Le pire est sans doute que ces paroles lui vont droit au coeur. Sa future rivale est une amie : c’est Louise qui, en 1666 a introduit la marquise à la Cour. Athénaïs de Mortemart a un plan, s’attirer les faveurs de la reine pour mieux séduire le roi. Le monarque, ravi, calme ses dames, mais l’on remarque qu’il rejoint de plus en plus souvent Mme de Montespan.
Ils descendent vers l’Orangerie toute de brique et de pierre, construite par Le Vau. Les arbustes viennent tout juste d’être sortis et se gorgent des premiers rayons du soleil
Weitere Kostenlose Bücher