L'amour à Versailles
A Paris, où Marie-Antoinette va souvent jouer aux cartes en cachette, et où elle perd gros, les poètes s’en donnent à coeur joie :
A Louis XVI notre espoir
Chacun disait cette semaine
Vous devriez ce soir
Au lieu des rois, tirer la reine.
Il est vrai que, depuis le commencement, les choses sont mal emmanchées. Si l’union entre la France et l’Autriche est décidée dès 1764, le choix des époux respectifs est laissé au hasard : on craint, de part et d’autre, la mort et les assassinats. Louis XVI et Marie-Antoinette, quoique appelés à devenir des souverains, sont des pions, qui ne doiventleur succès qu’à la chance. En 1770, il est toujours de ce monde alors que les autres héritiers sont morts, elle est viable et enfin pubère si bien qu’en avril Marie-Antoinette épouse l’archiduc Ferdinand, son frère, au nom du roi de France, qu’elle n’a pas encore vu. Moins d’une semaine plus tard, le temps de préparer ses malles, elle est expédiée en direction de Paris.
Le jour des noces, à Versailles, un mini-scandale éclate : les princesses de Lorraine, arguant de leur parenté avec la nouvelle Dauphine, ont obtenu de danser avant les duchesses, ce qui n’est pas pour plaire à la noblesse, qui murmure pour la première fois contre l’« Autrichienne ». Par la suite, lors des célébrations à Paris en l’honneur des nouveaux époux, le rassemblement dégénère en raison de la trop grande affluence, et les festivités se terminent par cent trente-deux morts, dans le quartier de la rue Royale. Ajoutez à cela que la nuit de noces est un cataclysme à ciel ouvert, auquel assistent tous les courtisans groupés autour d’un lit dont ne sont tirés que de fines courtines, vous comprendrez que Marie-Antoinette eût quelque rancoeur contre le mariage.
La situation se détériore lorsque Louis XV meurt. La Dauphine a dix-huit ans, elle est reine, elle est terrorisée. « Mon Dieu, mon Dieu, protégez-nous, nous régnons trop jeunes », déclare-t-elle en coeuravec Louis XVI : voilà le premier moment de complicité qu’elle a avec son mari. La mort de celui auquel elle s’est si joliment frottée a dû aussi l’effrayer : elle a entendu les rumeurs évoquant le monarque défiguré, rongé de vérole, et contagieux. C'est le coup de grâce porté à ses espoirs.
Des reines délaissées, trompées, l’histoire de France en compte des quantités. En revanche, une reine privée des hommages de son époux, un souverain que l’on dit impuissant, un couple royal pour l’instant stérile, le cas est inédit, et, comme tout ce qui est inédit, la Cour et les chansonniers en font des gorges chaudes. Passe encore d’être insatisfaite, mais aux yeux de tous ! A Paris, à Versailles, chacun fredonne que Marie-Antoinette, première dame de France, est mal besognée. Du statut de reine, elle n’a que les inconvénients : ce sont des soirées entières de palabres inconfortables dans des salons trop froids, avec des gens dont elle comprend à peine la langue, des heures de préparation où elle n’est libre de rien, des soupers interminables et des journées d’ennui, toutes les mêmes, réglées à la minute sous la férule d’un protocole qui ne semble fait que pour la martyriser. Le matin, comme l’étiquette réclame que les dames viennent, en suivant l’ordre des titres de noblesse, lui apporter ses vêtements, les femmes les plus titrées font exprès d’arriver en retard, pourque leur reine attende, nue devant tout le monde, au centre de la pièce. Face à ces courtisans hostiles, elle ne fait rien comme il faut : se baigne-t-elle couverte d’une robe de flanelle pour éviter les regards impudiques ? L'Autrichienne est pudibonde et ridicule. Se promène-t-elle vêtue d’une des robes de gaze qu’elle affectionne tant? Elle passe pour impudique.
Les reproches sur la chasteté de son couple, au moins de son mari, ne font que croître et embellir. Elle écrit beaucoup à sa mère et se plaint dans ses lettres de la froideur de son époux. Les seuls moments où ils ont une forme d’intimité physique, c’est quand il est victime d’une indigestion, et qu’elle passe la nuit à le soigner. Marie-Thérèse s’en inquiète : le rôle d’une reine est de donner des enfants au trône et avec une telle vie privée, l’heureux événement n’est pas près de se produire. D’abord elle l’encourage, lui donne des conseils, qui ne font qu’exciter la fille et apeurer le pauvre
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