L'amour à Versailles
surnomme « la Rousse », elle n’est qu’un laideron impubère. Elle a compris toutefois qu’à Versailles, pour régner, il faut avoir les faveurs du roi et, avec Louis XV, cela signifie être désirée. Si les fourches caudines du succès versaillais se trouvent au-dessus du lit royal, elle est prête à en passer par là. Voilà pourquoi elle se frotte sur le souverain dès le petit-lever.
Qui plus est, je la crois peu sûre de ses charmes : elle veut plaire, mais ne sait pas comment s’y prendre. En termes modernes cela s’appellerait une « allumeuse ». Il faut dire que le mari qu’on lui a collé entre les doigts n’est pas propre à la rassurer sur ses appas. Louis XVI n’a que faire du beau sexe, à commencer par sa femme. Il tient plus de Louis XIII que de Henri IV. Sa seule faiblesse, en matière de volupté, c’est la gourmandise. S'il a de l’appétit, c’est pour la chère, non pour la chair.Son grand-père s’en étonne, de loin : ce jouisseur n’a que faire du plaisir des autres, à moins qu’il ne puisse même pas comprendre que l’on se désintéresse de la bagatelle.
Un jour pourtant, il s’en inquiète, ou plutôt s’en amuse. Lorsqu’il voit Louis XVI, au soir de ses noces, manger comme un ogre, il le prévient : « Ne vous chargez pas trop l’estomac, pour cette nuit. » Louis XVI aurait alors répondu : « Pourquoi donc, je dors toujours mieux quand j’ai bien soupé. » De fait, une fois le repas terminé, le jeune goinfre prit la main de sa nouvelle épouse, et, au pas de la porte, lui souhaita chastement bonne nuit, et s’en fut retrouver les bras de Morphée. Gageons que pendant que son mari digérait paisiblement, Marie-Antoinette ruminait avec force aigreurs une telle humiliation. Celle-ci lui donna même un peu d’esprit. Lorsque le lendemain, la princesse de Guéménée, qui avait alors la direction du palais, vint trouver la Dauphine et s’étonna de la trouver seule, Marie-Antoinette lui dit : « On m’a beaucoup vanté la politesse française, mais je crois vraiment que j’ai épousé le plus poli de la nation. (…) Il m’a laissée à la porte de ma chambre, son chapeau à la main, et m’a quittée bien vite, comme s’il eût été embarrassé de ma personne. » De son côté, Louis XVI note dans son agenda : « Rien », et s’en va chasser. A midi, elle n’a pas décoléré. Quandson époux lui demande si elle a bien dormi, elle lui rétorque vertement : « Très bien, car je n’avais personne pour m’en empêcher. » Le roi baisse la tête et se ressert promptement.
Les « Rien » se réitèrent tous les soirs, au grand dam de la Dauphine. Elle enrage, désespère et se morfond : on lui a promis le futur roi de France, l’amour, la gloire et la volupté aussi, puisque la réputation des Français en matière de galanterie n’est plus à faire, elle a rêvé à une sorte de prince charmant latin, qui serait, en plus de ses multiples qualités, un dieu de l’amour, et elle se retrouve condamnée, à moins de vingt ans, aux plaisirs d’un bon souper avec un mari, qui, s’il n’a pas dix-huit ans, est déjà vieux. En fait de conte de fées, la voici attachée à un époux ennuyeux, au cou lourd et à la panse proéminente, qui tient plus du crapaud que du prince. On comprend dans ces conditions qu’elle ait louché sur la génération supérieure : mieux vaut un vieil amant qu’un mauvais mari.
Je la plains : c’est dur d’être insatisfaite à quinze ans. La pauvre fait tout ce qu’elle peut pour éveiller la concupiscence de son barbon de seize ans. Est-il gourmand? Elle demande des soupers fins, avec moult chocolats et céleri, mets qui, depuis Mme de Pompadour, passent pour exciter les sens, espère qu’il viendra, comme le faisait Louis XV avec ses maîtresses, déguster des fraises, des figues, oun’importe quel fruit défendu sur sa poitrine naissante, mais Louis XVI se ressert, la remercie, éructe et va dormir, tôt. Celle qu’on surnomme déjà « Mme Déficit » essaie de combler le sien à grands coups de fêtes, de bals, de macarons et de jeux de cartes, rien n’y fait : les caisses se vident, mais le désir s’accroît, de même que les rumeurs médisantes. Mme du Barry, qui, elle, est une femme comblée, s’en moque ouvertement et accuse la jeune femme d’apaiser son ardeur le soir, furtivement, avec le comte d’Artois, le propre frère du roi Louis XVI : la Rousse se ferait trousser dans les bosquets du jardin.
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