L'amour à Versailles
mort, la royauté se meurt.
Chapitre 18
Secrets d’alcôve
Une petite fille qui saute sur les genoux de son beau-père, c’est charmant, c’est attendrissant, mais, si la petite est plus près des seize ans que des douze et si « beau-papa » s’appelle Louis XV, cela devient tout de suite douteux. Pauvre roi : à la Cour, on attend qu’il crève, les courtisans se drapent dans leur vertu, invoquant « la fin proche de Ninive », à Paris, le peuple donnerait cher pour le crever. L'atmosphère à Versailles, est, en cette fin de règne, fétide. Partout on complote, même Mme du Barry intrigue pour se faire épouser, se voyant – incroyable ! – en nouvelle Mme de Maintenon. Les propos des médecins sont trop rassurants pour être véridiques, partout la maladie le menace : la dernière femme que la Cour a essayé de lui mettre entre les bras, Marie-Elisabeth de Habsbourg-Lorraine, est atteinte de la vérole, le mal qu’il redoute tant. Restif de La Bretonne, qui certes en savait long sur les amours filiales (il relatedans Les Nuits de Paris avoir couché sans le savoir, ou plutôt en ne le découvrant qu’après coup, avec sa propre fille), raconte que Marie-Antoinette n’avait pas sa pareille pour « se vautrer, jouer impudemment et demi-nue sur Louis XV, encore au lit, en souffrir et rendre d’étranges libertés ».
Nul doute que le monarque ait été quelque peu excité par les provocations de sa belle-fille et qu’il n’ait pas de çà de là laissé traîner un oeil ou une main. Mais je ne pense pas qu’il ait osé davantage : d’abord parce que Louis XV est un père à filles (il en a eu huit), que c’était peut-être le seul sentiment qu’il ait jamais respecté, sinon il n’aurait pas été si chagriné d’apprendre que l’une d’elles s’était faite nonne pour racheter les vices de son père et roi; ensuite parce qu’en fait de jeunesse, il a Mme du Barry, qui en sait nettement plus long que la petite Autrichienne sur les façons de « rafraîchir » un monsieur vieillissant, sans compter toutes les filles du Parc aux Cerfs, qui, quoique « neuves », sont fort bien éduquées, alors que sa belle-fille ne sait peut-être même pas comment on fait, encore moins comment on évite, les bébés. Qui plus est, la « Lolita viennoise » n’a rien d’un prix de beauté, surtout à son arrivée à Versailles. L'ambassadeur qui la conduit de Vienne a beau la décrire comme « un friand morceau », elle n’est pas un mets de roi, et j’en aurais, personnellement,assez vite soupé. Petite, le cou gras mais la poitrine plate, un regard vif mais sans profondeur, elle est mignonne, parce qu’elle est jeune, parce qu’elle est blonde, mais se sait sans grand charme. Sur les tableaux, elle apparaît en grands chapeaux et en toilettes coûteuses et élégantes, entourée des fleurs les plus majestueuses, dont la fameuse rose à laquelle elle a donné son nom, mais tous ces artifices rendent d’autant plus patents son visage chafouin, sa nuque courte (et qui fut pourtant, quelques année plus tard, raccourcie !) et le talent des peintres : ce sont eux qui ont su rendre ce petit minois agréable.
Et elle? Qu’allait-elle chercher sur les genoux de beau-papa? De la tendresse sans doute, de l’admiration certainement. Son père François de Lorraine n’a guère eu le temps de lui en prodiguer : le plus souvent à la guerre, il est mort quand elle avait dix ans. Pour son éducation, la fillette a dû se contenter d’une mère lointaine, rigide, l’impératrice Marie-Thérèse, et fort occupée : Marie-Antoinette est environnée d’une tripotée de soeurs, qu’elle trouve toutes plus jolies qu’elle. Elle est une fille envieuse, possessive, capricieuse, qui ne s’entoure que de femmes qui la vénèrent, et qui sont moins charmantes qu’elle, comme la princesse de Lamballe, veuve, mélancolique, éteinte dès ses dix-neuf ans ou Mme de Polignac, aussi dévouéeque moustachue. La preuve de ce tempérament jaloux est, à mon avis, qu’elle se révéla une mère dévouée : il n’y eut que ses enfants pour l’aimer suffisamment à son goût.
Elle ne rêve que d’une chose : être aimée, choyée, préférée. A la Cour pourtant, à son arrivée, on la délaisse : elle parle peu, mal, n’a ni les manières demandées par l’étiquette, ni l’esprit nécessaire à une réussite versaillaise, et, à côté de Mme du Barry, pourtant son aînée de douze ans, qui la déteste et la
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