L'Amour Courtois
répondre à toute demande, la « générosité »
étant davantage une attitude du cœur et de l’esprit qu’une propension à la
dépense matérielle d’argent ou de biens. Le précepte est moral : il est inutile
de vouloir s’intégrer à la « chevalerie d’amour » si l’on n’est pas
conscient de ses responsabilités vis-à-vis du groupe, aussi bien de la dame, objet
de ses pensées, que des autres membres de la communauté qui, eux aussi, ont
droit à l’échange.
Le second précepte est également moral : « Évite toujours le mensonge . » Autrement dit, il
faut toujours être ce que l’on est et non pas faire semblant d’être. Le
mensonge ainsi écarté concerne aussi bien la femme aimée à qui l’on ne doit
jamais cacher la vérité que la communauté qui ne peut souffrir d’être trompée
quant aux véritables sentiments ou intentions du chevalier d’amour. Certes, il
peut y avoir contradiction dans les faits : l’amour qui unit le chevalier
à sa dame doit être tenu secret, et sur le plan pratique, cela débouche parfois
sur des non-dits qui ressemblent fort à des
mensonges par omission. Mais le raisonnement est subtil, parce qu’il élimine le
mensonge au profit de la discrétion, ce qui n’est pas la même chose. L’accent
est mis sur la sincérité sans laquelle l’amour n’existe pas ou se trouve ravalé
au rang de caricature. De nombreux textes de l’époque, récits romanesques ou
jugements des fameux « tribunaux d’amour », témoignent de la
répulsion que l’on a envers les faux amants, ceux qui non seulement se trompent
eux-mêmes mais qui trompent la société et surtout le « dieu d’Amour »
abstrait qui sert de gardien vigilant, de garant symbolique de ce paradis qu’on
tente d’instaurer sur terre. « Il trafique avec le diable celui qui s’unit
à Fausse amour, et il n’a pas besoin d’autre verge pour se faire battre »,
s’écrie le troubadour gascon Marcabru avec sa violence coutumière. Et Bernard
de Ventadour manifeste une certaine amertume lorsqu’il constate : « Les
dames, à mon sens, font grande erreur quand elles n’aiment guère leurs fidèles
amants. Certes, je me dois de taire tout, sauf ce qu’elles voudront, mais je
souffre si un fourbe vient à obtenir plus d’amour ou autant que l’amant fidèle. »
Le troisième précepte découle du second : « Ne sois pas médisant . » Médire, c’est dire du
mal, c’est nécessairement mentir, inventer quelque chose de faux au sujet de
quelqu’un, avoir des pensées négatives envers les autres. C’est donc un
manquement grave à la solidarité qui contraint les membres de la chevalerie d’amour.
Les poèmes des troubadours sont remplis d’avertissements à l’égard des
calomniateurs, de ces lausengiers qui épient
les amants, qui cherchent à pénétrer dans leur intimité et qui sont prêts à se
répandre en mauvais propos, soit par jalousie ou envie, soit pour simplement « casser »
un jeu, pour troubler une sérénité chèrement acquise. L’avertissement au
néophyte de ne jamais médire est impératif dans la mesure où cela concerne non
seulement les autres couples, les autres membres de la communauté, mais l’objet
même de l’adoration, la dame : car, en étant l’objet de médisance, celle-ci
perdrait toute sa valeur symbolique, toute la pureté qu’elle incarne, et le
médisant verrait se retourner contre lui sa perfide attaque, puisqu’il serait
inconvenant et déshonorant d’aimer une femme qu’on jugerait indigne.
Le quatrième précepte évoque l’atmosphère particulière dans
laquelle doit se dérouler le rituel d’amour : « Ne divulgue pas les secrets des amants . » Nous
touchons ici au fond de l’ambiguïté de l’amour courtois. D’une part il ne doit
y avoir ni mensonge, ni fausseté dans les rapports amoureux, mais d’autre part,
ces rapports doivent être si secrets, si entourés de mystère qu’ils prêtent
nécessairement à des interprétations hasardeuses et à des affabulations. Dans
ces conditions, le secret, bien conservé, peut devenir un mensonge, ne
serait-ce que par non-dénonciation de quelque chose qui serait préjudiciable à
la chevalerie d’amour. Le caractère essentiel de l’amour courtois est d’être furtif : or, dans le mot furtif , le sens étymologique, provenant du mot latin
qui signifie « voleur », se recouvre d’une vague connotation d’hypocrisie.
Pourtant, pour que
Weitere Kostenlose Bücher