L'Amour Courtois
l’amour fût authentique entre la dame et l’amant, le secret
et le mystère, donc l’hypocrisie, étaient des éléments indispensables. Dans
tous leurs poèmes, les troubadours promettent la discrétion la plus absolue à
la dame dont ils espèrent devenir le servant d’amour. Le Chapelain insiste
lui-même sur ce précepte et il y revient en précisant sa pensée : « Tous
les amants sont tenus de conserver secret leur amour. S’ils soumettent leurs
litiges aux jugements des dames, leurs noms ne doivent jamais être révélés aux
juges, du moins avant que le jugement ne soit prononcé. S’ils se servent de
lettres pour communiquer entre eux, qu’ils s’abstiennent d’y faire écrire leurs
noms. Dans ces lettres, ils ne doivent jamais apposer leur sceau, à moins qu’ils
en aient un qui soit seulement connu d’eux et de leur confident. »
Car il y a toujours un confident à l’amant, qui peut être également
celui de la dame, et c’est aussi à lui que s’adresse le précepte. Ce confident
connaît tout de l’amour qui unit la dame et l’amant et ce serait une faute très
grave de divulguer ce qu’il sait.
On se demandera pourquoi il est ainsi nécessaire d’avoir un
confident. C’est pourtant le jeu. Il faut au moins un témoin pour que la relation
amoureuse soit en quelque sorte légalisée. Sans ce témoin, elle n’aurait aucune
valeur. D’ailleurs, n’est-il pas plus excitant pour l’imagination que de savoir
que quelqu’un sait et qu’à tout moment, il peut enfreindre la loi du silence et
mettre en danger l’harmonie du couple et sa sécurité ? L’amour se nourrit
de la crainte, et comment être vraiment certain de la fidélité d’un ami que l’on
prend pour confident ?
De plus, ce confident joue le rôle très important de
messager entre la dame et l’amant. C’est lui qui se charge d’organiser les
rendez-vous discrets où ils pourront se retrouver à l’abri des gelos (les « jaloux ») et des lausengiers (les « médisants »). Au besoin,
le confident pourra donner le change. Certes, on a l’impression que ce confident
« tient la chandelle ». C’est un peu vrai, et il doit y avoir une
bonne dose de voyeurisme dans cette fonction. Dans une célèbre Aube en langue d’oïl de la fin du XII e siècle, très étrange poème dramatisé, avec
des dialogues entre l’amoureux, le guetteur et le confident, ce dernier veille
avec soin sur la tranquillité des amants, et il s’adresse ainsi au guetteur :
« Guetteur de la tour, surveille bien les alentours, et que Dieu te
protège ! Car, à cette heure, la Dame et son Seigneur y sont enfermés, et
les voleurs rôdent en cherchant leur proie. » On se doute bien que les
voleurs en question sont les jaloux et les médisants. Donc le rôle du confident
est essentiel. Il écarte des amants tous les soupçons, il donne le change, il
protège. Il lui arrive même, dans certains cas, de devenir le représentant
attitré de l’amant si celui-ci s’absente ou est empêché par une maladie ou une
blessure. Il est habilité à faire des remontrances à la dame si celle-ci oublie
son amant ou commet quelque infidélité. Il peut même représenter l’amant devant
les tribunaux d’amour constitués par les dames de la bonne société qui se
trouvaient saisies de cas de conscience qu’elles jugeaient en toute sérénité. Le
confident était réellement le secrétaire , au
sens étymologique du terme, c’est-à-dire le « dépositaire des secrets »
de celui qui lui faisait confiance. À charge de revanche bien entendu lorsque
le « secrétaire » avait lui-même une relation amoureuse avec une dame.
Cela dit, la non-divulgation des secrets des amants donne à
l’amour courtois une dimension qui échappe au social. L’ambiguïté que cela
suppose conduit à la fois au retranchement du couple amoureux en dehors du
groupe et aussi au fonctionnement de ce groupe par la transcendance qu’elle
impose à l’amant pour mériter sa dame. C’est apparemment contradictoire, mais
en bonne logique, on doit constater que la vie privée, tout en étant respectée
et tenue secrète, se répercute sur la vie collective. Si « les amoureux
sont toujours seuls au monde », si leur relation n’intéresse qu’eux-mêmes,
si cette relation est bâtie la plupart du temps sur un adultère qui, normalement,
devrait être une destruction de la base sociale représentée par le mariage et
la famille légale, toute action
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