L'Amour Courtois
qu’elle offre. Interrogation
venue des fantasmes de l’enfant ou des rêves des communautés, il se dessine là
une femme double, à la fois dangereuse et marâtre, et bienfaisant giron qui
offre des solutions apaisantes et l’utopie d’une harmonie »
(D. Régnier, Le Cœur mangé , op. cit. ,
pp. 331-332.).
[116] Toute notion de couple infernal suppose l’existence d’un conflit qui peut se trouver aussi bien à l’intérieur
du couple qu’à l’extérieur, dans le contexte social, et le plus souvent dans
les deux. C’est le cas pour Tristan et Yseult : s’ils sont en conflit avec
le monde extérieur (l’adultère), ils sont également en conflit à l’intérieur
(la jalousie). Et, dans le récit de la légende, tel qu’il nous est parvenu en
version française, norroise ou allemande, la solution ne peut pas être trouvée
ailleurs que dans la mort des amants. Mais ce n’est
pas du tout ainsi que se termine l’histoire dans la version galloise . En
effet, après le séjour de Tristan et Yseult dans la forêt, c’est le roi Arthur
qui doit apporter son arbitrage au conflit entre Mark et Tristan (Yseult étant,
semble-t-il, laissée en dehors de la discussion). Arthur réconcilie donc
solennellement l’oncle et le neveu, mais une difficulté subsiste : aucun
des deux ne veut renoncer à Yseult. Alors « Arthur décida que l’un
l’aurait pendant qu’il y a des feuilles aux arbres, l’autre pendant qu’il n’y
en a pas. » Il fait choisir les deux rivaux et commence, société
androcratique oblige, par le mari. Mark choisit l’époque où il n’y a pas de
feuilles aux arbres pour une raison qui est riche en elle-même
d’explications : « parce que les nuits sont plus longues ». Tristan
n’a plus qu’à s’incliner, et la loi des Pères est inéluctable. Mais tout est remis en question par Yseult .
Apprenant le choix de Mark, elle manifeste en effet sa voix et récite un court
poème : « Trois arbres sont d’espèce généreuse : le houx, le
lierre et l’if, qui gardent leurs feuilles toute leur vie. Je suis à Tristan
tant qu’il vivra » (J. Markale, L’Épopée
celtique en Bretagne , op. cit. , p. 222). Rouerie
féminine ? Assurément. Mais aussi victoire et triomphe de la femme sur la
société des Pères. Et surtout, ce qui est le plus important, légitimation du couple infernal , constitution d’un
couple parfait et indestructible où plus aucun conflit ne peut éclater.
Désormais, Tristan et Yseult forment la dyade éternelle et omniprésente grâce à
laquelle le monde pourra devenir le Paradis jamais perdu, mais qui reste à
instaurer. Et c’est aussi, dans un contexte résolument celtique, le triomphe de
la fin’amor dans son expression la plus naturelle et la plus
totale : le couple infernal n’est pas monstrueux, il est en communion avec la Nature , et la chambre de
cristal où Tristan veut emmener Yseult est le pays de l’Éternel Été.
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