L'Amour Courtois
influences. C’est également
oublier que la latinité recouvre un vaste ensemble qui ne serait pas ce qu’il
est sans la composante hellénique. On sait très bien que la civilisation romaine
de l’Empire n’a plus rien à voir avec celle du Latium primitif : il serait
donc plus juste de parler de gréco-latinité. Et puis, il ne faudrait pas
négliger non plus l’apport des civilisations du Proche-Orient à la Rome
impériale. Autant de données qui risquent fort de battre en brèche la
conception simpliste d’une Europe occidentale surgie tout armée du cerveau de
Rome, maîtresse du monde, maîtresse des arts, de la philosophie et de la
civilisation en général. À vrai dire, les seuls à se prétendre les héritiers en
ligne directe de la Rome impériale, ce sont les papes et les empereurs, et, par
voie de conséquence tous ceux qui occupent un degré quelconque dans les
structures mises en place par l’autorité impériale et l’autorité pontificale. Mais
c’est abus de pouvoir en même temps qu’abus de confiance.
La confusion aidant, on range habituellement le christianisme
dans la latinité. C’est aller un peu vite. Bien sûr, le christianisme est
responsable en grande partie, surtout en France, de la victoire de la langue
latine sur les langues indigènes, mais le christianisme est tout de même autre
chose qu’une idéologie latine : l’appellation d’Église catholique romaine,
justifiée par l’importance qu’y ont joué et qu’y jouent encore les cadres romains,
camoufle des réalités beaucoup plus complexes et nettement hétérogènes. Il ne
faudrait pas négliger, par exemple, le fait que le christianisme est né, sous
contrôle romain, dans un milieu judaïque fortement influencé par la
civilisation hellénistique et teinté de façon indélébile par les doctrines
néo-platoniciennes, le tout ayant transité à travers la Grèce hellénistique
avant de s’échouer dans une Rome déjà minée par-dessous, aussi bien par l’athéisme
triomphant que par les religions à mystères, notamment les cultes orientaux. Il
est bien difficile, dans ces conditions, d’attribuer aux uns et aux autres, leur
juste part dans cette délicate opération d’alchimie socio-culturelle.
D’ailleurs, cette latinité n’est pas le seul élément, même
si on peut la considérer comme dominante. Le Moyen Âge ne serait pas ce qu’il
est sans l’apport germanique. Et il est double : continental, par les Francs
et les différents peuples dits « barbares » dont les Wisigoths sont
les plus remarquables, insulaire et scandinave par la vague plus tardive des
hommes du Nord. En modifiant profondément les structures originelles de l’Empire
romain, ou en occupant ces structures, les Germains ont provoqué une évolution
dont la profondeur demeure souvent insoupçonnée, et dont les traces sont
visibles encore actuellement dans tous les pays de l’Europe occidentale.
À cela s’ajoute l’influence arabe. Présentés comme des conquérants
et comme des destructeurs de la foi chrétienne, ceux que l’on appelle alors
communément les Sarrasins sont cependant des civilisateurs au même titre que
les autres peuples. Et si la civilisation musulmane est une synthèse entre
divers éléments empruntés sur le passage des disciples de Mahomet, elle n’en
constitue pas moins une grande ouverture sur un monde jusqu’alors inconnu, un
apport également considérable dans le domaine de la pensée philosophique, de l’art
et des traditions dites ésotériques ou hermétiques. Et, à partir du XI e siècle, cette influence est particulièrement
sensible sur les régions méditerranéennes : la Péninsule ibérique est en
effet un carrefour où se rencontrent, se côtoient, et finalement fraternisent
les musulmans, les juifs et les chrétiens. De cette confrontation naîtra en
partie la brillante civilisation occitane. Et c’est alors qu’il convient de ne
pas négliger de possibles archétypes méditerranéens dans la formation de l’amour
courtois et de la littérature raffinée qui le manifeste.
Mais il existe un élément qu’on a tendance à trop négliger, parce
que c’est le plus ancien, le plus subtilement discret, pour ne pas dire secret :
l’élément celtique. La plus grande partie de l’Europe occidentale a été envahie
et proprement colonisée, au cours des deux âges du fer, par les peuples de
langue celtique, et, surtout dans certaines régions comme la Gaule de l’Est
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