L'arbre de nuit
l’après-midi quand tintèrent les cloches de São Francisco de Assis. Elles annonçaient le baptême de Francisco, João, Alfonse da Fonseca Serrão, un tout petit nouveau chrétien en robe de dentelle ancienne de Setúbal.
Au même instant, à l’ouvert de la barre du Tage, d’autres cloches se mettaient en branle. Elles souhaitaient la bienvenue des clochers da Assunção et de Nossa Senhora dos Navegantes à Nossa Senhora da Penha de França . Une caravelle de grande garde était venue la reconnaître la veille, accompagnant l’odeur de l’Estrémadure. Une odeur douce de pins et d’oliviers qu’ils avaient oubliée là-bas. La caraque venait de jeter l’ancre devant Cascais un peu après la méridienne.
Passés les vivats et les salves de salut, l’allégresse abandonna derrière elle un peuple silencieux et grave, refermé sur lui-même pour prier et pour réfléchir. Les mâts qui avaient porté à travers les tempêtes la charge de leur heureuse traversée se retrouvèrent inutiles et tout nus quand l’équipage affala les vergues. Comme frappés de stupeur, les passagers levèrenttous ensemble la tête vers le ciel, confisqué pendant six mois par les voiles et restitué d’un seul coup tout entier. Il était d’un beau temps mitigé, avec des éclaircies laissant paraître un joli bleu ordinaire générateur de taches de lumière qui se couraient après sur le Tage et folâtraient sur les collines.
La caraque avait mouillé pratiquement bord à bord d’une flûte battant le pavillon bleu frappé de la croix blanche et du quartier rouge de Saint-Malo. À l’ombre de l’énorme navire, le petit trois-mâts appareillait pour Le Havre avec un chargement de porcelaines et d’indigo. Il se préparait à hisser son canot. L’opportunité était absolument inespérée, sous réserve de réagir dans l’instant car la flûte qui avait commencé à virer son ancre était sur le point de déraper. Fort de son prestige de Dieppois retour des Indes, François, penché sur le plat-bord, négocia en quelques échanges criés à tue-tête son embarquement immédiat, et le canot vint le chercher sous l’échelle du pilote. Il planta là Jean, stupéfait, lui laissant en deux mots le soin de régulariser son évasion et de rapatrier ses effets.
— Quelle chance ! Pas le temps de faire mes bagages. Je te les confie avec mon passeport. Prends surtout soin de ma pierre. Tu me la rapporteras à Dieppe. Ne fais pas de folies à Lisbonne. Adeus !
Le canot accosta le trois-mâts en quelques coups d’avirons. François enjamba le plat-bord et Jean le perdit de vue. Il reparut sur le porte-haubans du mât d’artimon du Malouin, agitant son chapeau. Quand la flûte abattit sur bâbord en prenant de l’ère, son plateau de poupe révéla en lettres blanches entre deux étoiles qu’elle s’appelait Confiance en Dieu.
Dès le lundi suivant, Mocquet alla remplir à la Casa da India ses formalités de sortie du Portugal. Une dizaine d’Anglais et deux Néerlandais expulsés du Brésil venaient d’arriver eux aussi à la barre du Tage. Rescapés des traversées infernales de la sphère des eaux, ils avaient le regard vide et la patience éternelle des revenants. Entravés sous la garde de soldats, ils savouraient leur supplément de vie en attendantqu’on les appelle un jour pour les envoyer n’importe où, peu leur importait.
Un officier le reçut sous une lisière basse de cheveux noirs coupés au bol, l’œil rancunier de trop d’administration routinière. Il leva brusquement la tête au vu des passeports qu’il venait de saisir d’une main inattentive.
— Tu te réclames de dom André de Mendonça et de la protection du roi de France ?
— Oui. Je suis un familier d’Henri le Grand.
— Tu l’étais. Un moine l’a poignardé il y a un peu plus d’un mois. Tu n’es pas au courant ? Un certain Ravaillac.
L’officier commença à remplir un formulaire d’une plume qui crachotait de l’encre, agacée d’être mal taillée.
— À voir ta tête, je comprends que tu étais vraiment son ami. Je suis navré pour toi. On dit à Lisbonne qu’il a été assassiné alors qu’il se rendait à un conseil pour porter la guerre en Espagne. Nous non plus, nous n’aimons pas les Espagnols.
Il inventoria du regard la petite foule des expulsés qui attendaient leur tour.
— D’après ce papier-là, tu voyageais avec un assistant. François Costentin. Tu es seul ? Il est mort en
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