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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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contrôle d’un apprenti sorcier jusqu’à déborder dans les porte-haubans, et les ballots légers d’écorce de cannelle grimpaient le long du grand mât pour atteindre le niveau des gaillards. Au point qu’il semblait impossible que la caraque, chargée comme un chameau de Bactriane, fût en mesure d’établir sa voilure et de virer ses ancres. Certainement pas en tout cas de mettre ses canons en batterie si elle devait croiser par malheur le chemin d’un pirate en chasse. On déchargea à grands coups de gueule les bagages de trois hommes en colère qui prenaient le ciel à témoin qu’il fallait débarquer aussitôt d’un navire qui coulerait bas avant d’arriver au cap de Bonne Espérance. Par fatalité ou parce qu’il était trop difficile de se faire reconduire à terre avec ses coffres et ses colis, il n’y eut pas d’autres défections.
    Comme si l’on disputait à bord une grande partie de colin-maillard, les marins se faisaient valoir en bondissant commedes chèvres le long des montagnes de colis, sautant de l’une à l’autre pendant que les passagers, traînant leurs biens, se faufilaient à travers les obstacles. Les appels, les ordres, les coups de sifflet et les imprécations se superposaient dans un charivari qui rendait illusoire tout espoir d’échange compréhensible jusqu’à l’aube qui mettrait fin à cette cacophonie. Au même désordre près, elle était étonnamment différente de la solennité religieuse des cérémonies au départ de Lisbonne. Cette nuit, marchands pompeux, fonctionnaires imbus de leurs charges passées, matelots effrontés, fidalgos insolents, officiers orgueilleux rivalisaient d’impertinences. Ils avaient hâte de partir. Maintenant qu’ils étaient des hommes riches, ils avaient appris à être exigeants et pressés. Tous des rescapés déjà de l’Atlantique, épargnés par les maladies, ces vainqueurs increvables rentraient en triomphe étaler leur fortune à Lisbonne et réclamer les récompenses de leurs vertus.

    François s’était planté au centre du tillac, où restaient libres quelques pieds carrés de pont.
    — Quelle pagaille ! Nous recommençons un interminable voyage, en étant cette fois emportés par le flot des trésors des Indes s’écoulant vers Lisbonne. Des grains d’or noir roulent sous nos pieds et nous les écrasons sans même y penser.
    Un gamin efflanqué comme un chaton mouillé ramassait un par un jusqu’entre leurs pieds les grains répandus sur le pont. Il se mêla à leur conversation pour leur apprendre avec gravité que le poivre était maudit pendant les traversées de retour.
    — Quelle misère ! L’Atlantique va chercher à envahir nos cales et le poivre va sans cesse obstruer les crépines.
    — Ces épices vaudront de l’or délivrées à Lisbonne.
    — En attendant, elles vont faire tout leur possible pour que nous n’y arrivions jamais.
    Les anciens de la Carreira l’avaient prévenu que les grumètes allaient se relayer à fond de cale pendant la traversée pour déboucher les pompes. Pendant ce temps, la mersuinterait insidieusement à travers les coutures fatiguées du bordage. Il leur demanda s’il valait mieux, tout bien pesé, s’user les mains au fond des cales putrides en amassant un trésor de grains de poivre échappés des sacs, ou se désarticuler les bras sur le tillac aux bringuebales des pompes sous les taloches du maître. Jean lui conseilla vivement de préférer le bon air malgré les taloches aux bas-fonds semés de poivre. Le glaneur s’éloigna à croupetons, continuant à ramasser son petit trésor.

    François tournait sur lui-même, bras écartés, le visage levé vers le ciel qui commençait à rosir.
    — C’est céleste ! Sais-tu que je revis ? L’idée de rentrer à Dieppe me terrorisait. Sur ce pont de navire, je suis heureux de retourner chez moi. Les conséquences de ce voyage m’ont totalement dépassé. La traversée sera dure mais nous sommes increvables. Adieu, Goa la Dorée !
    Sa voix s’était cassée. Jean posa les deux mains sur ses épaules, détournant le regard pour le laisser pleurer.

    Ils durent s’écarter devant un fidalgo que des officiers guidaient avec déférence vers la dunette, manifestement très important à en juger par sa suite et par le nombre de ses bhoïs porteurs de bagages.
    — Nous ne connaissions même pas le visage de ce fonctionnaire influent. Ni de tant d’autres sans doute. Nous étions vraiment incapables de

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