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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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au cours d’épisodes violents. Dès la fin de la mousson de 1510, Albuquerque a repris la ville.
    Parce que le gouverneur s’était tu, François osa intervenir.
    — C’était le 25 novembre, le jour de Santa Catarina. La chapelle commémorative est le premier monument que j’ai vu en arrivant à Goa.
    — La sainte a sans doute prié longtemps ce jour-là. Le rapport d’Albuquerque au roi revendiqua un effroyable massacre. « Ce fut, Sire, une très grande victoire. Quelque six mille Maures des deux sexes ont péri. » Il a ajouté : « C’est la première fois que nous vengeons dans ce pays la trahison et les méfaits dont les Maures se sont rendus coupables à l’égard de Votre Altesse. Cette vengeance retentissante inspirera terreur et stupéfaction. Ils ne nous nuiront plus. »
    Les yeux fermés, il avait récité des phrases qu’il savait par cœur. Il les dévisagea l’un après l’autre.
    — Voyez-vous, jeunes gens qui tentez généreusement de me faites croire que j’assume des doutes imaginaires, les hérétiques sont des abcès dangereux au sein de notre religion. L’Inquisition les détruit par le feu comme on assainit l’air pour arrêter une épidémie. Mais eux ? Les émirs qui ont érigé le magnifique khalifat de Cordoue étaient-ils des brutes ?
    — Vous avez farouchement combattu les Maures pendant la reconquête.
    — En ce temps, c’étaient eux les envahisseurs.

    Jean et François s’étonnaient eux-mêmes de s’acharner à absoudre Afonso d’Albuquerque puisque le vice-roi indomptable avait assumé ses actes jusqu’à les revendiquer. Ils étaient là, à tenter maladroitement d’exorciser in extremis les doutes de dom André, probablement l’un des rares grands serviteurs du Portugal à avoir eu la volonté de concilier l’inflexibilité de l’empire et la charité chrétienne. Il leur sembla que leur situation étonnante était un présent inestimable du destin.
    Jean tenta un autre argument.
    — Dom André, le Coran appelle à la guerre sainte contre les ennemis de l’Islam et ordonne de les tuer sous le prétexte que rien n’est pire que l’idolâtrie. C’était un juste retour.
    — Ces hommes brûlés vifs n’étaient pas des combattants de l’Islam. Ils s’opposaient seulement aux envahisseurs de leur pays. Comme nous lors de la reconquête.
    Mendonça était presque inaudible. Autour d’eux, sa maison commençait à manifester son inquiétude. Jean le supplia de se reposer et demanda à Álvaro Païs, le secrétaire, defaire apporter du sirop de violette. Le gouverneur leur fit signe de la tête de s’approcher un peu plus.
    — J’ai percé de mon épée des dizaines de guerriers hindous et j’ai étripé un capitaine hollandais trop arrogant. J’ai fait pendre des dizaines de déserteurs. Je n’ai jamais ordonné de brûler pour l’exemple une mosquée remplie d’êtres humains qui ne m’attaquaient pas, sous le prétexte qu’ils croyaient en un autre prophète. Ni transformé un asile de Dieu en chambre de torture. Mais je sais pourquoi on nous reprochera un jour d’avoir conquis les Indes.
    Alors que François et Jean s’écartaient pour laisser ses gens ramener le malade dans sa chambre, dom André leva la main, leur faisant signe de ne pas s’éloigner. Il souffla :
    — Ne vous y trompez pas, jeunes idéalistes. Bons ou mauvais vice-rois ou gouverneurs, nous admirons et nous assumons tous en notre âme et conscience l’héritage vertueux d’Albuquerque.
    Il sourit en esquissant un geste d’impuissance. On l’emporta vers ses appartements.

    François resta de longues minutes les mains croisées derrière le dos, les yeux fixés sur le pavillon portugais qui flottait à la poupe. Jean l’entendit murmurer :
    — L’obsession de la mort omniprésente sous ses défroques de carnaval. Restes mortels dispersés en mer, ignominie des âmes privées de sépulture chrétienne, pourriture des corps vifs, meurtres horribles pour l’exemple et autodafés au nom de la foi. Pourquoi cette nation a-t-elle été choisie pour assumer seule ce destin tragique ? Où son peuple a-t-il trouvé l’énergie surhumaine de l’accomplir sans renoncer ni se rebeller ? Sans hurler de terreur ?

    Dom André s’éteignit le 1 er avril. Jean tenait prêts depuis quelques jours le benjoin noir de Sumatra et le camphre de Chine.

Le vendredi 2 juillet 1610 à Goa, les ombres commençaient à s’allonger après la touffeur de

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