L'arc de triomphe
silencieuse et vide, une arche de Noé, où il y avait d’inaccessibles timbres pour les visas. Goldberg était resté devant, près de l’hôtel Crillon, et il avait contemplé l’entrée et les fenêtres sobres, comme s’il eût regardé un Rembrandt ou le Koh-i-Noor.
« Venez tout de même faire quelques pas. Allons jusqu’à l’Arc de Triomphe. »
Il pensait : « Si je réussis à sauver ces deux-là en haut, Jeanne sera dans ma chambre à mon retour. Elle arrivera pendant que je serai parti. » Goldberg fit signe que non. « Il faut que je monte. Je suis sûr que ma femme m’attend. Il y a plus de deux heures que je suis parti. »
Ravic regarda sa montre. Il était près de minuit et demi. Il n’était plus nécessaire de sauver qui que ce fût. M me Goldberg aurait depuis longtemps regagné sa chambre. Il observa Goldberg qui montait lentement l’escalier. Puis il marcha jusqu’au bureau du concierge. « Quelqu’un m’a appelé ? » Sa chambre était brillamment éclairée. Il se souvint qu’il l’avait laissée allumée. Le lit brillait comme s’il eût neigé dessus. Il prit sur la table de nuit le mot qu’il y avait laissé, disant qu’il serait de retour dans une demi-heure et le déchira en morceaux. Il chercha quelque chose à boire. Il n’y avait rien. Il redescendit. Le concierge n’avait pas de calvados. Il n’avait que du cognac. Ravic prit une bouteille de Hennessy et une bouteille de vouvray. Il parla au concierge pendant quelques instants et celui-ci chercha à lui prouver que Loulou. Il avait les meilleures chances dans la prochaine course à Saint-Cloud.
L’Espagnol Alvarez passa et Ravic remarqua qu’il boitait encore légèrement. Il acheta un journal et regagna sa chambre. Combien une pareille soirée pouvait être interminable ! Celui qui ne croit plus aux miracles en amour est perdu ; c’est-ce que l’avocat Arensen avait dit à Berlin en 1933. Deux semaines plus tard, il était envoyé dans un camp de concentration, dénoncé par sa bien-aimée. Ravic déboucha le flacon de vouvray et prit sur la table un volume de Platon. Il le reposa quelques instants plus tard, et s’assit près de la fenêtre.
Il fixa le téléphone. Maudit instrument noir ! Il ne pouvait pas téléphoner à Jeanne. Il ne connaissait pas son numéro. Il ne connaissait même pas son adresse. Il ne lui avait rien demandé et elle ne lui avait rien dit. Elle l’avait probablement fait exprès. Pour se garder une excuse.
Il but un verre de vin léger. « Je suis fou, se dit-il. J’attends une femme qui était ici ce matin même. Je ne l’ai pas vue pendant trois mois et demi, et pourtant elle m’a moins manqué qu’elle ne me manque depuis ce matin. C’eût été plus simple de ne pas la revoir. Je m’étais habitué. Maintenant… »
Il se leva. Ce n’était pas cela non plus. C’était l’incertitude qui le rongeait. C’était le soupçon qui s’était emparé de lui de plus en plus, à mesure que les heures passaient.
Il alla à la porte. Il savait qu’elle n’était pas fermée à clef ; mais il s’en assura quand même une fois de plus. Il lut le journal ; mais il avait l’impression de lire comme à travers un voile. Des désordres en Pologne. Le conflit inévitable. Les réclamations contre le Corridor. Le traité de la France et de l’Angleterre avec la Pologne. La guerre approchait. Il laissa retomber le journal et éteignit l’électricité. Il demeura dans l’obscurité à attendre. Il ne pouvait pas dormir. Il ralluma. La bouteille de Hennessy était sur la table. Il ne la déboucha pas. Il se releva et alla se rasseoir près de la fenêtre. La nuit était fraîche et pleine d’étoiles. Quelques chats gémissaient dans la ruelle. Sur le balcon d’en face un homme, un homme en caleçon se grattait énergiquement, puis, avec un bâillement, regagnait sa chambre. Ravic regarda le lit. Il savait qu’il ne pourrait pas dormir. Inutile, aussi, d’essayer de lire. Il lisait sans comprendre les mots. Sortir… c’est-ce qui serait le mieux. Mais où aller ? Aucune importance. Il ne voulait pas sortir non plus. Il voulait savoir quelque chose. Dans un geste de fureur il saisit la bouteille de cognac, puis il la reposa sur la table. Il chercha dans sa poche des cachets pour dormir, semblables à ceux qu’il avait donnés à Finkenstein, l’homme aux cheveux roux. Lui dormait sûrement, maintenant. Ravic avala les cachets. Il doutait de pouvoir
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