L'arc de triomphe
allemand ?
– Pas à lui, je le veux bien, mais aux réfugiés hors-la-loi vivants. »
Seidenbaum ajusta son pince-nez.
« Peu importe. Savez-vous ce que j’ai fait pendant le dernier raid ? C’était il y a deux ans. Un sergent était même descendu dans la Catacombe. J’ai endossé une des vestes blanches de Jean et j’ai fait le service. Du cognac pour la police.
– C’était une bonne idée.
– Le moment arrive toujours où on en a assez de se sauver. »
Très calme, il gagna la cuisine, afin de s’enquérir de ce qu’il y aurait pour le dîner.
Par la porte qui s’ouvrait derrière la Catacombe, Ravic gagna la cour. Un chat se frotta contre sa jambe. Les autres réfugiés allaient devant lui. Rapidement, ils se dispersèrent dans la rue. Alvarez boitait légèrement. Ravic songea distraitement qu’une opération pourrait peut-être remédier à sa claudication.
Il était assis, place des Ternes, quand la certitude lui vint soudain que Jeanne viendrait ce soir-là. Il n’aurait pu dire pourquoi ni comment. Il le savait tout simplement.
Il paya l’addition et revint lentement vers l’hôtel. Il faisait chaud et le long des rues étroites, les enseignes des hôtels qui louent des chambres à l’heure éclairaient la nuit d’un éclat rougeâtre. Des raies de lumière filtraient à travers les rideaux tirés. Des matelots suivaient un groupe de filles. Ils étaient jeunes et bruyants, avec dans leurs veines la chaleur du vin et de l’été ; ils disparurent dans l’entrée d’un des hôtels. Le son d’un harmonica venait de quelque part. Une pensée rapide comme une fusée traversa le cerveau de Ravic, puis revint, se déploya, et sembla faire surgir de la nuit un panorama merveilleux : Jeanne l’attendait à l’hôtel pour lui dire qu’elle avait tout laissé pour revenir à lui…
Il s’immobilisa. Qu’est-ce qui me prend ? grommela-t-il. Pourquoi suis-je ici immobile ? Pourquoi mes mains touchent-elles l’air comme si c’était une nuque ou l’ondulation d’une chevelure ? Il est trop tard. On ne peut pas revenir en arrière. Tout comme l’heure qui s’enfuit ne reviendra jamais. »
Il marcha jusqu’à l’hôtel, traversa la cour, et rentra par la porte de la Catacombe. Il vit que plusieurs personnes étaient assises là. Seidenbaum était parmi elles. Allons, le danger était passé. Il monta chez Morosow.
Morosow était dans sa chambre.
« Je m’en allais justement, dit-il. Quand j’ai vu tes valises, j’ai cru que tu repartais pour la Suisse.
– Tout est calme ?
– Oui. La police ne reviendra pas. Aucune complication. Le cadavre est toujours là-haut. On fait la toilette funèbre.
– Dans ce cas j’imagine que je peux reprendre ma chambre. »
Morosow se mit à rire.
« Ce Seidenbaum ! dit-il. Il était là tout le temps. Il avait une serviette contenant des papiers quelconques, et son pince-nez à la main. Il s’est présenté comme l’avoué et le représentant de la compagnie d’assurances. Il l’a pris de très haut avec la police. Il a réussi à sauver le passeport du vieux Goldberg, en disant qu’il en avait besoin et que la police n’avait droit qu’à sa carte d’identité. Sais-tu s’il a des papiers ?
– Pas l’ombre.
– Alors, c’est parfait, fit Morosow. Le passeport vaut son pesant d’or. Il est valide encore pour un an. Quelqu’un pourra s’en servir. Pas à Paris, évidemment, à moins d’avoir le culot de Seidenbaum. La photographie peut facilement être remplacée. Il existe des spécialistes qui, pour une petite somme, falsifieront la date de naissance, si le nouveau Aaron Goldberg est trop jeune. C’est un peu la transmigration des âmes : un passeport valide pour plusieurs mois.
– Alors, Seidenbaum s’appellera désormais Goldberg ?
– Seidenbaum ? Jamais. Ce serait au-dessous de sa dignité. Il est comme une espèce de don Quichotte parmi les citoyens de ce monde clandestin. Il est trop fataliste et en même temps trop curieux de savoir ce qui arrive aux hommes de son espèce, pour consentir à s’affubler d’un faux passeport. Et toi ? »
Ravic secoua négativement la tête.
« Merci pour moi. Je pense comme Seidenbaum. »
Il prit ses valises et monta. Tout près de la pièce où habitaient les Goldberg, il rencontra un vieux juif en caftan noir, avec barbe et bouclettes, qui ressemblait à un patriarche biblique. Le vieillard marchait à pas
Weitere Kostenlose Bücher