L'arc de triomphe
défensive.
« Tu le sais, dit-il. Ne pose pas de questions futiles.
– Tu ne veux plus de moi ?
– Non », répondit-il. Et il ajouta comme malgré lui : « Pas comme cela. »
La plainte monotone venait toujours de la chambre des Goldberg. La lamentation des morts.
La douleur des bergers du Liban au milieu d’une rue de Paris.
« Ravic, dit Jeanne, il faut que tu m’aides. – Je ne peux t’aider mieux qu’en sortant de ta vie ; et toi de la mienne. » Elle ne parut pas l’entendre. « Il faut que tu m’aides. Je pourrais te mentir, mais je ne veux plus. Oui, j’ai quelqu’un dans ma vie. Mais ce n’est pas comme avec toi. Si c’était la même chose, je ne serais pas ici. »
Ravic prit un paquet de cigarettes dans sa poche. Il sentit le paquet qui craquait entre ses doigts. Il savait maintenant. C’était comme un couteau dont la lame froide ne ferait pas de mal. La certitude ne fait pas de mal. Seulement ce qui vient avant et ce qui vient après.
« Ce n’est pas la même chose, dit-il. Et pourtant ce n’est jamais tout à fait différent. »
« Voilà que je sors des clichés, pensa-t-il. Des paradoxes de journaliste. C’est étrange ce que la vérité devient mesquine, aussitôt qu’on l’exprime. » Jeanne se redressa.
. « Ravic, dit-elle, tu sais bien que ce n’est pas vrai qu’on ne peut aimer qu’un seul être. Il y en a qui ne peuvent pas faire autrement. Ils sont heureux. Les autres sont toujours plongés dans la confusion. Tu sais cela. »
Il alluma sa cigarette. Il pouvait la voir, maintenant. Pâle, les yeux sombres, silencieuse, concentrée, presque suppliante, fragile… et pourtant invincible. Tout ce qu’elle avait été dans son appartement l’autre après-midi… comme l’ange de l’Annonciation, pleine de foi et de radieuse conviction ; un ange qui prétendait le sauver, et qui, en réalité, le crucifiait lentement pour qu’il ne pût lui échapper.
« Oui, dit-il. C’est une de tes excuses.
– Ce n’est pas une excuse. On n’est pas heureux ainsi. On est jeté là-dedans malgré soi. C’est quelque chose de sinistre, un labyrinthe, un spasme… une crise qu’il faut traverser. Impossible de fuir. Cela vous poursuit, vous rejoint. On ne peut pas, mais c’est plus fort que tout.
– Pourquoi y penser ? Il faut suivre, c’est plus fort que toi.
– C’est-ce que je fais. Je sais qu’il n’y a rien d’autre que je puisse faire. Mais… »
Sa voix changea.
« Ravic… il ne faut pas que je te perde. Je ne sais pas pourquoi, mais il ne faut pas que je te perde ! »
Ravic fuma sans plaisir. Tu ne veux pas me perdre, pensa-t-il. Tu ne veux pas perdre l’autre non plus. C’est-cela. Que tu sois capable de cela ! C’est pour ça qu’il faut que je m’éloigne de toi. Ce n’est pas pour l’autre… il serait vite oublié. Et puis tu avais toutes-les excuses. Ce qui compte, c’est l’empire que cela a pris sur toi, et dont tu ne peux pas te libérer. Et si tu t’en libérais, cela arriverait encore. Encore et encore. C’est en toi. J’étais aussi comme cela avant. Je ne peux pas l’être avec toi. C’est pour cela qu’il faut que je te quitte. J’en suis peut-être encore capable cette fois. La prochaine fois…
« Tu crois que c’est un cas extraordinaire ? dit-il tout haut. C’est un des plus communs de tous. Le mari et l’amant.
– C’est faux.
– Mais non. Il y a des tas de variantes. La tienne en est une, voilà tout.
– Comment peux-tu parler ainsi ! »
Elle se leva brusquement.
« Tu n’es rien de pareil. Tu ne l’as jamais été et tu ne le seras jamais. L’autre est beaucoup plus… »
Elle s’interrompit.
« Non, ce n’est pas cela non plus. Je ne peux pas t’expliquer.
– Mettons la sécurité et l’aventure. Ça sonne mieux. Mais c’est la même chose. Tu veux avoir l’une, mais tu ne te résignes pas à perdre l’autre.
– Ravic, dit-elle d’une voix qui lui remua le cœur, cela peut se dire avec de bonnes ou de vilaines paroles. Mais ça ne change rien. Je t’aime et je t’aimerai jusqu’à la fin de ma vie. Cela, je le vois clairement. Tu es l’horizon, et toutes mes pensées viennent mourir en toi. Ce n’est pas une duperie. Ça ne t’enlève rien, c’est pour cela que je te reviens toujours, que je ne peux pas le regretter ou me sentir coupable.
– Les sentiments ne sont jamais coupables, Jeanne.
– J’ai tant pensé à
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