L'arc de triomphe
douce, fiévreuse, et irrésistible, comme l’attraction de la terre pour celui qui, pris de vertige, se penche sur le parapet d’une tour.
Ravic sentit cette force. Il résista. Il ne voulait pas se laisser prendre. Il ne pensait plus à s’en aller. S’il partait, cela le poursuivrait. Et il ne voulait pas être poursuivi. Il voulait une fin nette. Demain, il aurait besoin de clarté.
« Tu as du cognac… ? demanda-t-il.
– Oui. Aimerais-tu du calvados ?
– Du cognac, si tu en as. Ou du calvados. Aucune importance. »
Rapidement elle se dirigea vers le meuble à liqueurs. Il la suivit des yeux. L’air léger, l’invisible radiation, la vieille et éternelle déception… Comme si l’orage des sens pouvait apporter la paix pour plus d’une nuit.
La jalousie ? Il n’en connaissait rien. Mais ne savait-il pas quelque chose de l’imperfection de l’amour ? N’était-ce pas là une souffrance plus vieille, plus inapaisable que cette petite misère personnelle qu’était la jalousie ? Ne commençait-elle pas avec la connaissance que l’un devait mourir le premier, avant l’autre ?
Jeanne n’apporta pas de calvados. Elle apporta une bouteille de cognac. « Il y a des jours où elle a de l’intuition. » Pour poser son verre sur la table, il écarta la photographie. Puis il la prit et l’observa. Le meilleur moyen de lutter contre l’emprise d’une femme n’était-il pas de regarder le portrait du successeur ?
« C’est étrange, dit-il, ce que ma mémoire est mauvaise. Je le croyais tout à fait différent. »
Elle posa la bouteille.
« Mais ce n’est pas lui.
– Comment ? Déjà quelqu’un d’autre ?
– Oui. C’était la raison de tout ceci. »
Ravic avala une gorgée de cognac.
« Tu manques vraiment de tact. Tu ne devrais pas avoir de photographies chez toi, quand l’ancien amant doit venir. Les photographies sont de mauvais goût.
– Elle n’était pas sur la table. Il a fouillé la maison. Il l’a trouvée. Et tout le monde a des photographies. Tu ne comprends pas cela. Mais une femme comprend. Je ne voulais pas qu’il la voie.
– Et maintenant tu as eu une scène. Est-ce lui qui te fait vivre ?
– Non. J’ai un contrat. Pour deux ans.
– Est-ce lui qui te l’a obtenu ?
– Pourquoi pas ? »
Elle était vraiment surprise.
« Est-ce si important ? dit-elle.
– Non, mais il y a des gens qui deviennent méchants en pareil cas. »
Il la vit lever les épaules. Un souvenir. Une nostalgie. Des épaules que son souffle avait déjà soulevées dans son sommeil, tout contre lui. Une nuée d’oiseaux brillants dans la nuit rougeâtre. Loin ? Combien loin ? Parle, comptable invisible ! Est-ce seulement enterré, ou sont-ce vraiment là les derniers reflets mourants ? Qui sait ?
Il reprit la photo. Un visage. N’importe quel visage. Un parmi des millions.
« Depuis quand ? demanda-t-il.
– Pas longtemps. Nous travaillons ensemble. Il y a quelques jours. Le soir où tu n’as pas… chez Fouquet’s… »
Il leva la main.
« C’est bien, c’est bien, je sais. Si ce soir-là j’avais… tu sais bien que ce n’est pas vrai. »
Elle hésita.
« Non…
– Tu le sais. Ne mens pas ! Les choses importantes durent davantage. »
Que voulait-il donc entendre ? Pourquoi avait-il dit cela ? N’était-ce pas un mensonge qu’il voulait entendre ?
« C’est vrai et ça ne l’est pas, dit-elle. Je ne peux pas m’empêcher, Ravic. Je suis entraînée. C’est comme si j’allais manquer quelque chose. Je m’en empare. Il faut que je l’aie, et puis, ce n’est rien. Alors, je cherche quelque chose de nouveau. Je sais d’avance que ce sera la même chose, mais je ne peux pas m’en empêcher. Cela me pousse, et cela me rejette ensuite. Je suis satisfaite pour un temps, et puis je me retrouve vide. C’est comme une faim. Et cela revient. »
« Perdue, pensa Ravic. Vraiment et complètement perdue maintenant. Plus de fautes, plus d’enchevêtrement, plus de réveil, plus de retour. » Il était bon de le savoir. Il serait bon de le savoir, lorsque les vapeurs de la fantaisie viendraient de nouveau embuer les lentilles de l’expérience.
Chimie douce, inexorable et sans espoir ! Le sang qui avait bondi dans les veines ne pourrait plus jamais le faire avec la même vigueur. Ce qui retenait encore Jeanne, et la ramenait de temps en temps vers lui, c’était une partie de lui, où elle
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