L'arc de triomphe
quelque chose où il était question de danger, de crainte. Si, par hasard !… Tout était possible ! Il avait vu arriver des choses plus étranges. Il se vêtit à la hâte, prit sa trousse et sortit.
Au coin, il arrêta un taxi. Le chauffeur avait avec lui un petit griffon. Le chien était étendu autour du cou de son maître comme un col de fourrure. Ravic se sentait devenir fou. Il aurait voulu lancer la bête sur le siège de la voiture. Mais il connaissait trop bien les chauffeurs de taxi.
La voiture roulait dans la chaude nuit de juillet. Une vague odeur de feuillage flottait dans l’air. Des fleurs, des tilleuls, des ombres, un ciel criblé d’étoiles, et là-haut, un avion, avec ses lumières rouges et vertes intermittentes, comme un coléoptère sinistre et menaçant parmi les lucioles. Les rues incolores, l’horrible chant de deux ivrognes, un accordéon dans un sous-sol, et soudain, plus rien que l’hésitation, la crainte, et la hâte fébrile. S’il était trop tard !…
La maison. L’obscurité tiède et endormie. L’ascenseur descendit lentement, semblant ramper comme un insecte illuminé. Ravic avait atteint le premier palier quand il se ravisa. Si lent qu’il fût, l’ascenseur irait encore plus vite.
Jeanne vint ouvrir. Il la regarda. Pas de sang… Son visage était normal… Elle n’avait rien.
« Qu’y a-t-il ? demanda Ravic. Où est…
– Ravic ! Tu es venu !
– Où est… tu as fait quelque chose ? »
Elle recula. Il fit quelques pas en avant. Du regard, il fit le tour de la pièce. Personne.
« Où est-ce ? Dans la chambre ?
– Quoi ? questionna-t-elle.
– Il y a quelqu’un dans la chambre ? N’as-tu personne avec toi ?
– Non. Pourquoi me demandes-tu ça ? »
Il la regarda.
« Tu devrais savoir que je n’ai personne avec moi quand je t’attends », dit-elle.
Elle se tenait devant lui, souriante.
« Où vas-tu chercher ces idées ? »
Son sourire devint plus tendre.
« Ravic », dit-elle, et il comprit, comme si un orage de grêle était venu le frapper en plein visage, qu’elle le croyait jaloux, et qu’elle en était satisfaite. La trousse pleine d’instruments lui sembla soudain peser une tonne. Il la posa sur une chaise.
« Sale menteuse ! dit-il.
– Qu’est-ce qui te prend ? dit Jeanne.
– Menteuse, répéta Ravic. Et imbécile que je suis, d’avoir marché ! »
Il ramassa sa trousse et se dirigea vers la porte. En un clin d’œil, elle l’avait rejoint.
« Que vas-tu faire ? Ne t’en va pas ! Tu ne peux pas me laisser seule !
– Menteuse ! Fourbe ! Peu m’importe que tu mentes, mais ça me dégoûte, que tu le fasses si vulgairement. Il y a des choses avec lesquelles on ne joue pas ! »
Elle l’entraîna loin de la porte.
« Mais regarde donc autour de toi ! Tu vois bien qu’il est arrivé quelque chose ! Regarde ce qu’il a fait, dans sa rage ! Et j’ai peur qu’il ne revienne ! Tu ne sais pas de quoi il est capable ! »
Une chaise était renversée. Une lampe. Des morceaux de verre brisé.
« Mets des chaussures pour marcher, dit Ravic. Comme cela, tu ne te couperas pas. C’est le seul conseil que je puisse te donner. »
Une photographie gisait parmi les débris de verre. Du pied, il écarta les morceaux et la ramassa.
« Tiens ! ». Il la lança sur la table. « Et maintenant, laisse-moi en paix. »
Tandis qu’il parlait, le visage de Jeanne avait changé.
« Ravic, dit-elle d’une voix basse et contenue, peu m’importe comment tu me traites. J’ai menti souvent. Et je mentirai encore. C’est-ce que vous voulez, tous. »
Elle repoussa la photo, qui glissa sur la table, et vint tomber devant Ravic. Ce n’était pas la photo de l’homme qu’il avait vu avec Jeanne à la Cloche d’Or.
– C’est-ce que tout le monde veut ! répéta-t-elle avec mépris. Ne mens pas ! Ne mens pas ! Ne dis que la vérité ! Et si on la dit, ils ne peuvent pas la supporter. Mais je ne t’ai pas menti souvent. Pas à toi. Avec toi, je ne voulais pas…
– C’est bien, dit Ravic. Inutile de discuter de cela. Il se sentait soudain remué d’une étrange façon. Quelque chose l’avait touché. La colère le gagna. Il ne voulait plus être touché.
– Non. Avec toi ce n’était pas nécessaire. Elle le regardait d’un air presque suppliant.
– Jeanne…
– Je ne mens pas maintenant. Je ne mens pas. Pas entièrement, Ravic. Je t’ai
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